Deux enfants sur la voie de l’adolescence, l’un plus avancé que l’autre, se chamaillent malicieusement sur le banc d’un couloir du collège Guy Mocquet, à Gennevilliers. Ils passent de la position assise, à la position allongée ; ils n’arrêtent pas de bouger, répondent à une question posée par l’opérateur-réalisateur, puis continuent à se tirer, qui la manche du T-shirt, qui les cheveux…
Pour parvenir à une telle décontraction dans l’entretien avec eux, ce qui n’a plus rien à voir avec l’interview cadrée style JT, mais constitue plutôt une « rencontre » confiée aux spectateurs, Denis Gheerbrant a pris le temps de nouer une relation avec chacun. Enquête : automne 95/hivers 96. Préparation : printemps 96. Tournage : année scolaire 96/97. En tout, c’est plus de trois ans que Denis Gheerbrant a passé aux côtés des enfants du collège Guy Mocquet. Cette durée, bien sûr, le place d’emblée du côté de la tradition des cinéastes documentaristes, pour qui une longue insertion est la base même du film, et bien plus qu’une caution, sa véritable essence.
Mais ce n’est pas seulement là que se trouve la grande valeur de Grands comme le monde. Elle est tout aussi contenue dans le rapport instauré par le cinéaste avec les enfants. Il ne s’agit pas pour lui d’être un récepteur transparent qui recueillerait sans nullement la déranger la réalité qui s’offre à son objectif. Tout au contraire, la personne « Denis Gheerbrant » est bien présente dans chaque plan. Son questionnement est guidé par le désir de savoir comment ces enfants se dirigent vers l’adolescence, comment l’univers du collège, et celui de la cité, en s’opposant, les conduit à comprendre la complexité du monde. En s’impliquant de la sorte, Denis Gheerbrant est notre guide, un passeur en somme.
Il nous donne alors à partager la vision qu’ils ont de la vie adulte, une vision lointaine et abstraite pour Joakim, beaucoup plus brute et proche pour Oumarou, cette vision de l’avenir qui conditionne totalement leur présent. Pour les uns, cela veut dire s’amuser pendant qu’il en est encore temps, pour les autres bien travailler pour pouvoir poursuivre ses études. Pour d’autres encore, et pour Oumarou en particulier, les dés de l’exclusion du système scolaire sont quasiment jetés. Avec Grands comme le monde, c’est un peu les adultes de demain que nous avons la chance de côtoyer…