Sur cette génération de consoles, le free roaming urbain a connu deux grandes étapes : Shenmue, dont la rumeur d’un troisième épisode revient régulièrement hanter les forums sur le Net. Puis GTA, sulfureuse série, qui en trois opus a sans cesse repoussé les limites de la ville comme terrain de jeu. D’un côté, la contemplation du mode de vie à l’asiatique sur fond de vengeance filiale ; de l’autre, les success stories de petite frappes mafieuses sans dieu ni maître. Enorme succès critique pour ces deux licences. Mais Shenmue est un gouffre financier pour Sega, alors que GTA devient un system seller dont Sony, comme Microsoft, se disputent désormais les faveurs. Yakuza n’est pas une revanche pour Sega, mais une réponse. Ce nouveau jeu marque le retour de la firme au hérisson bleu dans la cour des superproductions, autant que la réaffirmation d’une rigueur morale se démarquant du bac à sable trash de Rockstar.
Yakuza est un jeu qui se présente comme un film de… yakuzas, qui connaît ses classiques et en respecte les codes : Kazuma, son héros, violent, sombre, mais dévoué et intègre ; ses drames humains et ses grandes figures (déchirements familiaux et claniques) ; son traitement incroyablement réaliste d’un Tokyo hédoniste et interlope ; sa narration scindée en chapitres ; ses longues cinématiques à la mise en scène et à la plastique impeccables. Tout converge vers une fiction dirigiste et morale mais qui laisse au joueur le soin de choisir son rythme de progression. Etrangement, l’imprécision des phases de combat -pourtant l’épine dorsale de Yakuza– se fait oublier devant les à-côtés du jeu : son scénario haletant et son exploration du Tokyo by night et de ses plaisirs. De ses bars à hôtesses, en passant par ses supérettes et ses night clubs rococos, le Tokyo reconstitué de Yakuza est une leçon de level design autant qu’un exploit technique. Il faut voir encore Kazuma s’enfoncer dans la foule des piétons, bruyante et indifférente, pour mesurer l’ambition dévorante que nécessite cette recréation virtuelle de la vie urbaine. C’est beau une ville, la nuit.