A l’heure où une grande partie de la production house et des DJ s’est embourbée dans le clonage industriel des 90’s, avec pour résultat de produire une musique qui n’appartient pas du tout à l’époque, certains îlots de surprises subsistent. BPitch Control poursuit son virage amorcé avec la sortie d’Arabxilla d’Aerea Negrot et continue de s’aventurer sur des territoires électro qui lui étaient auparavant (presque) inconnus. Needle and thread est un album de pure house, aux accents d’abord légèrement baléariques, et qui évolue progressivement, par petites touches pointillistes, vers un groove club de plus en plus sûr et affirmé au fur et à mesure des morceaux. Le label s’est montré parfois en perte de vitesse, en faisant quelques choix de signature guère heureux, comme Dillon. Cet album de System Of Survival vient faire le ménage dans tout ça.
Entendons-nous bien : on n’a priori pas tant de griefs contre ce revival 90’s. Il donne régulièrement d’excellentes choses ; un label comme PAN se montre capable du meilleur quand il s’abreuve à cette décennie de l’histoire de la techno. Seulement, à trop tirer sur la corde du revival 90’s entamé depuis 2008, il va lui arriver la même chose qu’à la minimale : un gros ras-le-bol qui va écoeurer ses adorateurs actuels et les pousser à rejeter jusqu’au moindre gimmick vocal signé 90’s.
Composé de Pietro « Bingo » De Lisi et Alex Carpentieri, le duo écume le globe, les studios d’enregistrement et les platines depuis 1989. Ils intègrent à leur arc toutes les cordes de la house pour en donner leur propre interprétation, sans acquiescer aux sirènes de la hype et en ne cédant jamais leur place de producteurs. Complémentaires dans leurs approches musicales – Pietro a une tendance lourde aux sons soul et funk tandis qu’Alex est plus porté sur l’exploration d’un axe Chicago-Détroit -, ils produisent une house contemporaine quoique de leur propre aveu massivement tributaire de leurs influences respectives. Dont ils sont, rappelons-le, tout à fait contemporains. Mais en écoutant System Of Survival, vous n’entendrez pas Adonis, Model 500 ou MFSB. Non, il s’agit bien de leur son à eux, résumé en douze (beaux) morceaux. Que ce disque fasse figure de synthèse de tout un parcours singulier, sans trop se fondre dans le mouvement d’ensemble, lui ajoute force et intensité, c’est certain.
Le disque s’ouvre, assez classiquement, sur une forme d’interlude, Aries, pour introduire l’auditeur à son univers musical et se poursuit sur le superbe Lovebeat, aux sonorités très NYC / New Jersey, sorte de patron house au classicisme parfait qu’on aurait vidé de ses vocaux. C’est là le seul hommage audible aux 90’s : manière pour le duo de régler la question, avant de passer à autre chose. Needle and thread ne craint pas les disparités : Moovin’ groovin est une ballade downtempo ponctuée d’une guitare ibérique, tandis qu’I can’t find food puise dans un funk soft qu’il ne singe pas béatement pour autant. Plus loin, Crash what conclue généreusement avec une légère touche hardcore belge façon Human Resource.
Tout le disque s’organise en crescendo, avec un tempo toujours plus rapide, passant une série de paliers constituée d’Attitude, Phat trax et Land of confusion. Discrètement et, pour ainsi dire, en filigrane, on entend passer ici, de loin en loin, les spectres de Mr. Fingers période Trax / Jack Trax et Dj International, mais aussi d’Armando période Westbrook. Le modus operandi du duo se situe nettement du côté de la citation savante à destination du connoisseur, plutôt que de l’hommage appuyé.
Needle and thread tâche d’éviter les références trop évidentes et préfère épurer sa propre définition du genre. De subtiles et fines évocations à Einmusik (Shaw), suffisamment lointaines pour éviter la copie, en allusions légères à Detroit (Nihil, le fantastique X-pert), tout respire la maîtrise, l’intelligence et les références bien assimilées. X-pert fait figure de synthèse ultra-dense. Tour à tour rentre-dedans et subtil, groovy en diable, rappelant le meilleur de Basement Jaxx et leur dextérité pour retenir et capter l’attention à l’aide de breaks savants, X-pert cite Chloé remixant les Junior Boys, avec le côté implacable d’un morceau qui colle à son beat comme du bitume à la chaussée, avant de balancer un sample impeccablement maîtrisé de Love will save the day de Whitney Houston, méconnaissable et pourtant toujours classe.
Il y a une décomplexion totale autant qu’une parfaite lucidité dans Needle and thread. Deux particularités d’approche qui suffisent à en faire un excellent disque.