« Continue de répandre le bonheur, Chibi-robo « . D’aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais rêvé d’être un robot ménager. Cela dit, je n’ai jamais rêvé non plus d’être petit, gros, moustachu et de parler avec un accent italien. Mais robot ménager ? Il y a tout de même un avantage à incarner un robot : pas besoin de justifier ses automatismes, sa conduite. Du moins en théorie. Combien de jeux proposant d’incarner un robot versent en effet dès le départ dans l’anthropomorphisme ? Quel jeu prend le robot pour ce qu’il est et seulement ce qu’il est ? Chibi-robo ! semble ne pas faire partie de cette catégorie. Pourtant, Chibi-robo, son héros, se tue littéralement à la tâche. A peine acquis par un otaku chômeur pour l’anniversaire de sa fille, Chibi-robo est amené à ramasser les papiers gras, à récurer les traces de boue, à éponger les flaques laissées un peu partout dans la maison. Sa récompense et celle du joueur ? Des points de bonheur convertibles en accessoires qui permettent, entre autres choses, d’accomplir plus de tâches ménagères. Et d’obtenir plus de points de bonheur. On n’en sort pas.
Pour autant, Chibi-robo ! n’est ni monotone ni ennuyeux. Son mélange exploration / plates-formes / aventure à la maniabilité étudiée (comme souvent chez Nintendo) est frais, intéressant, grâce à un level-design vertical et inspiré. Jeu « bac à sable », son scénario n’est pourtant pas en reste. On repense aux grandes, grasses mais bonnes comédies américaines pour enfants des années 90 comme Chérie j’ai rétréci les gosses ou Toy story. Dans un contexte très pixarien, Chibi-robo n’est pas le seul objet animé de la maison et l’essentiel de ces tâches » non-ménagères » consistent à porter une main secourable à une momie dépressive, un nounours toxicomane ou encore à un héros de sentai obsédé par la sécurité. Une attachante galerie de personnage hauts en couleurs, notamment grâce à des dialogues ciselés et des situations qui n’hésitent pas à verser dans l’allusion glauque ou ambiguë. Par ailleurs, on pourrait croire le jeu plombé par le cycle jour / nuit (très proche de celui de Pikmin), la nécessité de recharger régulièrement les batteries de Chibi-robo et le fait de devoir se farcir peu ou prou le même trajet à chaque renouvellement de cycle. Ces trois contraintes auraient pu alourdir le rythme ou passer pour une extension factice de la durée de vie du jeu. Il n’en est rien ; c’en est presque effrayant. En arriver à accepter n’importe quelle tâche ménagère sous prétexte que « c’est le jeu », que « c’est sur mon chemin » ou que « je suis un robot domestique » est inhumain. Harvest moon, avant Chibi-robo !, répondait à l’épineuse question de la finalité des jobs virtuels par « le devoir familial », la nécessité de se nourrir, l’envie de voir son avatar vieillir, son enfant grandir, son exploitation s’agrandir.
Après quarante heures de jeu, Chibi-robo n’a pas grandi, mais a aidé beaucoup de monde ; il s’est vu offrir deux-trois gadgets sympathiques mais il n’a pas changé d’un iota. Chibi-robo, n’a jamais donné son avis. C’était au joueur de répondre par « oui » ou par « non ». Et on tient peut être là l’intérêt majeur du titre du studio Skip. A aucun moment notre avatar de métal ne s’humanise. A aucun moment il ne sort de sa fonction d’esclave du bonheur des autres. A aucun moment, le petit robot ne s’attriste de ne pas être un héros de jeu vidéo. Laissant, jusqu’au bout de ces nombreuses quêtes, le joueur seul juge de ce qu’il fait vraiment, seul devant son écran a réaliser des boulots domestiques dans une cuisine virtuelle. Seul à parcourir, à hauteur de Playmobil, les centaines de centimètres de lino qui le séparent « d’un bonheur à répandre ». Seul comme un robot. Mais un robot qui rêve.