The Devil’s rejects était découvert par une grasse nuée de cinéphages en DVD bien avant cette arrivée en salles. Reste à retrouver le film pour ce qu’il est : série B gore qui poursuit le travail entrepris par House of 1000 corpses, le premier film de Rob Zombie, soit le retour à un cinéma de la sauvagerie américaine qui se situerait entre Massacre à la tronçonneuse, Bonnie and Clyde et Tueurs nés. De fait, le film est une sorte de karaoké aux volutes joyeusement nocives, un Rubik’s cube seventies en forme de road movie forain et décapant. L’intérêt de ce Devil’s rejects tient dans une approche ironique qui, sans cynisme aucun, recycle absolument toutes les figures du cinéma des années 70 : nous ne sommes plus ici dans la volonté de retrouver un ton, un esprit ou simplement une atmosphère (comme par exemple dans le récent La Colline a des yeux d’Aja), mais dans une distance très paradoxale. Pas un plan qui ne soit un appel ou un clin d’oeil à divers classiques, des Tueurs de la lune de miel à Bonnie and Clyde, de Peckinpah à Tobe Hooper. Et néanmoins, Zombie trouve très rapidement une formule qui en fait aussi une ligne droite complètement décharnée, se débarrassant de l’aspect second degré pour entrer de plain-pied dans une forme extrêmement linéaire (divers tarés de House of 1000 corpses en fuite, un policier vengeur à leurs trousses).
L’extrême fluidité du script, suite de pauses dans des motels poisseux et de tours de force horrifiques, permet de simplifier au maximum les enjeux et d’éviter tout ce qu’il était possible de redouter -effets de manche de petit malin, ironie en chausse-trappes, séquences purement citationnelles. D’où vient, alors, que la volonté visible d’éprouver le spectateur (notamment dans la scène de séquestration du motel) laisse vite place à une forme de bonhomie foraine dont le manichéisme inversé explose lui-même au profit d’une affable sauvagerie dont personne ne ressort indemne ? C’est que Rob Zombie s’en remet à une sorte de voix inédite, celle du karaoké plus que du remaking conscient : l’important ici réside dans le simple enchaînement de séquences réflexes, dans la récitation et le déploiement d’une esthétique réduite en simple voix -couleurs, sons, figures et ralentis utilisés comme autant de simulacres de samples. S’il force parfois le trait, comme lors de l’interminable gunfight final, il se plait, un peu à la manière d’un David Gordon Green (remember l’ouverture de L’Autre rive), à plonger corps et âme dans un délicieux cauchemar seventies.
Le résultat est sidérant puisqu’il permet de faire circuler, au coeur de la coquille de l’hommage ou de la simple variation, une expérimentation très contemporaine : ni premier ni second degré, plutôt un étrange croisement entre un maniérisme et une radicalité proprement indécidable. Le recours dans des rôles assez importants d’acteurs tels que Ken Foree ou Michael Berryman, carcasses vieillies et ressuscitées de Zombie ou de La Colline a des yeux, en offre la plus sympathique des illustrations : sous ses atours de train fantôme cinéphile, The Devil’s rejects est aussi une sorte de reanimator carnavalesque de l’horreur telle qu’elle se pratiquait dans l’âge d’or américain des seventies. On peut, bien sûr, ne voir dans cette subtilisation du politique de l’époque au profit d’un ludisme pervers une forme de dégradation coupable, le prolongement vain d’un esprit envolé qui, aujourd’hui, moulinerait dans le vide. Mais questionner ce vide où est aspiré actuellement le genre demeure probablement le plus considérable enjeu apparu dans les meilleurs films d’horreur de ces dernières années. Lorsqu’il atteint par exemple à un degré de cauchemar absolu, dans la séquence du masque mortuaire qui recouvre Otis, The Devil’s rejects perpétue une horreur que l’on pensait enterrée depuis bien longtemps. Telle est la leçon du cinéma de Rob Zombie, pyromane de l’horreur quant tant d’autres ne se rêvent qu’en pompiers du genre.