Drôle de film que ce Takeshis’, et impression que Kitano s’enfonce film après film dans une errance sans retour. Une célébrité du showbiz et son sosie, un caissier coincé, se retrouvent mêlés dans une aventure où l’imaginaire se mêle à la réalité. Lorsqu’un cinéaste de la trempe de Kitano se frotte au genre -souvent atroce- du film en abyme désenchanté et nostalgique type Ginger et Fred, on peut un peu s’attendre à tout, sachant que le cinéaste n’est plus au meilleur de sa forme depuis le fabuleux Eté de Kikujiro. La peur se confirme dès les premières séquences, succession de saynètes fumistes où l’on sent bien que le film ne repose sur absolument rien d’autre que la marque Kitano, une sorte de carcasse évidée sans panache qui rappelle, dans un tout autre genre, le marketing Burton de Charlie et la chocolaterie ou, pire encore, des Noces funèbres.
Soit un film porté par la certitude absolue de sa signature (attention univers) là où son sujet même -nostalgie désabusée, aveu d’impuissance et soudaine conscience mortifère d’une certaine vanité de l’artiste en son royaume- imposerait doute, fragilité et ténuité. L’échec de Takeshis’ est d’autant plus flagrant que sa structure reprend celle d’un Getting any ? : mise en place d’un univers par touches et saynètes accumulées dans un ordre aléatoire. Mais quand Getting any était sublimé par une jeunesse et une agressivité de tous les instants, une manière de virtuosité sèche et brouillonne, Takeshis’ s’ensuque au contraire dans un ripolinage académique et une obséquieuse tendance à l’auto-fierté qui prend la forme d’une boîte à scènes en kit à remonter soi-même. Sans souffle ni élan, l’amalgame de bouts de récit anesthésie le spectateur jusqu’à extinction des feux lors de terrifiantes scènes de claquettes censées être le clou du spectacle, et qui ne sont en réalité que la plus ennuyeuse et ringarde des dérobades.
Se rêvant clown blanc, Kitano n’est plus ici qu’une ombre de prétention pédalant dans le vide laissé par son oeuvre depuis pas mal de temps. Interminable et mou comme une vieille chique, Takeshis’ atteint dans sa seconde moitié une forme de non-film, délaissant toute trace de dramaturgie au profit d’une guirlande onirique roublarde et pathétique. Personne n’y résiste, surtout pas le comédien Beat Takeshi, comme empaillé par le cinéaste Kitano. Pantomime funeste, le film devient une mascarade de kitanisme à laquelle personne ne croit, un peu à la manière de cet affreux couple qui se moque d’un bout à l’autre du métrage du caissier se rêvant comédien. On a un peu pitié, et beaucoup de peine en découvrant ce film-épouvantail secoué par Kitano à la manière d’un aveu se retournant contre lui-même. La fumisterie et le cynisme sont d’autant plus navrants qu’ils se rêvent en ironie désabusée et poétique, à mi-chemin entre Fellini et Johnnie To.