En cherchant bien, en faisant le critique de cinéma, on peut trouver dans World trade center quelques branches à quoi se raccrocher, de quoi causer. De prime abord très bête, très grossier, outrageusement complaisant, le film d’Oliver Stone, pour dégoûtant qu’il puisse être, est aussi un objet étrange, plus que ne le laisse paraître sa pesante tunique commémorative. Plusieurs choses retiennent particulièrement l’attention dans le film qui raconte comment deux policiers new-yorkais, arrivés sur les lieux peu avant l’effondrement des tours, se retrouvent coincés sous une montagne de décombres, et ce pendant plusieurs heures -le tout based on a true story, les deux infortunés policemen étant de fait les antépénultième et avant-dernier survivants retrouvés après la pulvérisation des buildings. Ce qui étonne, d’abord, c’est que World trade center n’est pas la version d’Oliver Stone sur les attentats du 11 septembre 2001, comme JFK, par exemple, prenait la forme d’une enquête et livrait une thèse alternative à l’explication officielle de l’assassinat de Kennedy (alors que le 11-Septembre a pris la suite de l’affaire JFK au panthéon du conspirationnisme). Citizen Stone, à défaut d’être un grand cinéaste, s’est autoproclamé poil à gratter officieux de l’histoire officielle américaine. Or, ici, il endosse l’habit du troubadour national chantant la geste héroïque du pays sous une pluie de feu. Et rallie le traditionnel catéchisme américain dans ce qu’il a de plus dégoulinant : liturgie du drapeau, glamour de la patrie, allégeance sans réserve à la cause nationale.
A peu de choses près, l’action du film -ou plutôt son inaction, puisque les deux protagonistes durant deux heures ne bougent pas, coincés qu’ils sont sous un mikado d’acier- aurait pu se dérouler en de toutes autres circonstances que celles du 11 septembre. Mais Stone, s’il ne s’engage pas dans une plaidoirie dont il est coutumier, ne fonce pas non plus dans l’ouverture béante qui s’offre à lui : les deux types sont coincés et dialoguent à quelques mètres l’un de l’autre, c’est une situation absolument beckettienne, Oh, le beaux jours ! sous le WTC, et pourtant la conversation entre les deux malheureux est d’une inconsistance et d’une banalité abyssales. Et en lieu et place de Godot, c’est Jésus qui déboule, dans un caméo déjà mythique où le messie entouré d’une aura jaune fluo vient apporter aux policiers assoiffés les bouteilles de flotte d’un litre et demi dont ils rêvent.
Si ce n’est la contre-enquête, si ce n’est le théâtre, qu’est-ce qui fait courir Stone ? Quelque chose qu’on connaît bien, qu’on a vu mille fois chez les brutes hollywoodiennes les plus primitives : la pâtisserie commémorative, un feu d’artifice d’étreintes, d’embrassades, une avalanche de réconfort et de bisous -aux larmes, citoyens. Il n’y a que cela dans le film, puisqu’en parallèle des scènes sous les gravas, Stone suit la journée des familles des policiers, leur angoisse, leur peur, leur soulagement quand tout finit bien. Par ailleurs, la plus étrange invention de Stone n’est pas ce tire-larmes des familles, mais un personnage plus qu’étrange qui endosse à lui seul la charge d’héroïsme (et de bellicisme) inévitable avec un tel film. Ce personnage n’est pas New-yorkais, il vit ailleurs dans le pays et le 11-Septembre au matin entend une voix divine qui lui ordonne de filer à Ground Zero. Enfilant son uniforme de réserviste, le bougre dur à cuir, pas franchement aimable, retrouve les rescapés dans la nuit, tandis que les recherches sont suspendues. Avant de disparaître aussitôt, le warrior prévient les siens qu’il ne va pas quitter son uniforme avant un bail, » parce qu’il va falloir de bons soldats pour venger ça » (les attentats). L’étonnant, donc, c’est que le seul « héros » du film est complètement aberrant, grotesque à ses moments (tous ses dialogues sont énormes), avec ses yeux de psychopathe. Tout cela fait du film de Stone un étrange machin. Pour autant, peut-on aimer un film pareil ? Non. Pas facile de souscrire à ce carnaval patriotique, gros gâteau croulant sous une émotion de clip fox news, la plupart du temps ennuyeux au possible.
Un dernier mot quand même sur ce personnage de bidasse en folie incarné par Michael Shannon. D’où sort-il ? On ne connaissait pas le zigue, mais on va bientôt faire sa connaissance, dès février 2007, quand sortira Bug, de William Friedkin. Quel rapport, outre que Michael Shannon a rejoint le tournage du film de Stone juste après avoir terminé celui de Friedkin ? Bug, c’est la suite de WTC : un film où un ex-Marine qui a fait le Golfe, interprété par un Michael Shannon encore une fois halluciné, sombre dans la paranoïa, persuadé que l’armée américaine a implanté dans son corps une colonie d’insectes. Va-t-en guerre dans WTC, Michael Shannon en est revenu dans Bug avec une migraine carabinée. La boucle est bouclée et l’Amérique vient de trouver son soldat inconnu.