Marie-Antoinette est à la fois le plus attendu et le plus prévisible des films de Sofia Coppola. Pour la plus fille à papa des cinéastes, rien de plus normal que d’imaginer l’Autrichienne sous son jour le plus hype, entre la douce clubbeuse et la nymphe en construction. Prévisible car Marie-Antoinette suit la destinée des filles de Virgin suicide ou de Lost in translation, une virée faussement cotonneuse avant une mort, ou du moins une souffrance certaine. La grammaire ne change donc pas, malgré l’ampleur du projet. Ultime narcissisme de bobo, Sofia a beau se payer le château de Versailles, c’est lui qui se pliera à ses règles. Le vrai défi du film reste donc celui-ci : relooker le film en costumes, faire naître la légèreté par une fébrile modernité. Cela peut paraître arrogant, comme la typographie Sex Pistols du générique peut le laisser croire, mais la posture ne se départie jamais d’une grande fragilité.
Le film n’a ainsi de cesse d’osciller entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Il semble souvent manquer de repère comme si le cadre était trop large pour lui. Rarement décor naturel n’a semblé du coup aussi artificiel : la vieille pierre, les colonnes, les dorures prennent des atours staliniens impossibles à contenir, à épouser. Le scénario mélange aussi le gigantisme à l’intime. L’écriture se focalise sur la jeune femme, appelée au devoir de réconcilier deux peuples et s’adapter, nue comme un ver, lavée de toute trace de son passé aux moeurs de Versailles. Délaissant l’Histoire (sacrément malmenée) pour un protocole asphyxiant, Sofia Coppola filme une adaptation ternie de malentendus et de douces hallucinations. On trouve évidemment une part d’autobiographie militante dans Marie-Antoinette, façon presque politique de justifier le spleen de la jeune aristocratie, pour qui le concret n’existe que sous forme de frivolité ou de marivaudage.
Au départ assez soûlant, ce cri de douleur de pauvre petite fille riche finit par s’incarner avec brio. Parce que la cinéaste ne fait preuve d’aucune prétention, mais plutôt d’une impuissance assumée à s’extraire de ses tics habituels, plus que jamais mis à nu par la stature du genre. Alors que ses films précédents restaient droits dans leurs bottes, amidonnées par une maîtrise limite arrogante, celui-ci se disperse non sans douleur, laisse un vide croissant derrière chaque posture. Pour la cinéaste, l’étiquette devient en plus matière à s’aliéner toute seule : la répétition protocolaire est de fait une ponctuation maniériste qu’elle ne peut difficilement détourner et l’indolence des journées (de longs travellings langoureux, des commérages adolescents) ne trouve qu’une sublimation toute mesurée. Le final est à l’avenant : il se gauffre sur la représentation du peuple, tente une dernière pirouette (un salut théâtral assez stylé), mais cet échec contient une force, un courage. Celui d’assumer son rang de princesse pour mieux s’y extraire, celui de se donner sans limite au monde du cinéma, quitte à renoncer à la perfection et y laisser ses jouets.