Thuriféraires (d’un monde ?) d’une époque révolue, les Fiery Furnaces ont pris le pli des productions 60’s, quand les Beatles, les Who ou les Stones sortaient deux ou trois albums par an. Grand bien nous fasse, après ce Rehearsing my choir en forme de parenthèse familiale (avec en guest baroque, la grand-mère de la petite fratrie), Eleanor et Matt Friedberger remettent le couvert et les petits plats dans les grands pour ce cinquième album studio en trois ans (en comptant leur EP comme un album à part entière, ce qu’il est), l’impeccable, le super Bitter Tea, et la première tentative, magnifiquement concrétisée, de satisfaire à la fois les fans de leur masterpiece Blueberry boat (psychédélisme forain, coq à l’âne sophistiqué et verbosité flamboyante) et les simples amateurs d’indie-rock, ceux qui ont lu dans le NME qu’Eleanor sortait avec un membre de Franz Ferdinand.
In my Little thatched hut ouvre l’album sur une ligne de synthétiseur bourdonnante, des petites percussions presque R&B, et la voix d’Eleanor dans un murmure, avant que le morceau ne se transforme en séries de batteries tribales et de synthétiseurs explosifs, ponctués de voix inversées (gimmick acide et efficace qui court tout le long de l’album) et de pianos étouffés. Le refrain apaise ce chaos fractal sur une guitare acoustique en avant, avant retour du cycle, replongée abrupte dans la folie la plus singulière de l’indie-pop de ces jours-ci. Indie-pop, car oui, les Fiery Furnaces ont fait là leur album le plus accessible, le plus moderne (jusqu’alors, ils étaient juste post-modernes et complètement avant-gardistes), en phase avec notre époque, mais sans reniement pour autant : couplets-refrains, si cela à un sens pour eux, puisque toutes les variations et agrémentations harmoniques possibles accompagnent ce format classique, répétitions des lyrics à l’envie et une couleur générale ouvertement pop, possiblement dansante (si vous aimez les électrochocs). Et surtout, des mélodies, de vraies mélodies popisantes, entre les alambics de Stephen Malkmus et les obsessions de Stephin Merritt, à tomber dingue. Ainsi Waiting to know you est un vrai single, une tuerie, composée par ce que seraient Leiber & Stoller aujourd’hui (classicisme et romantisme, sur une ligne mélodique qui n’en finit plus de divaguer, puis revient sur ses pieds comme par miracle), mise en son par ce que serait Phil Spector aujourd’hui (mur du son de lourds synthétiseurs, de pianos réverbérés, de charleys numériques saturées), avec une touche de pop mainstream 80’s proprement rénovée. La production, ses détails, sa singulière sophistication, met aujourd’hui les Fiery Furnaces au même niveau que les Flaming Lips : à la recherche de la forme de psychédélisme la plus actuelle, la plus contemporaine, celle qui utilise tous les outils, toute la technologie disponible aujourd’hui, en la transformant en quelque chose de définitivement organique, puissant, qui vous emporte et ne vous relâche pas.
Le sens de la narration (les lyrics sont des histoires, des fictions, de petites nouvelles) s’accompagne de la volonté d’en découdre sans cesse avec les formes codifiées : Oh sweet woods, sur une sombre histoire de kidnapping par des mormons, joue les gimmicks disco (« like this ») comme simple illustration d’une narration complexe ; les petites trouvailles rythmiques évoquent le mainstream hip-hop mais ne s’installent jamais, jouant sur le plaisir de la reconnaissance des formes autant que sur l’attente et la frustration. Production brillante (dans tous les sens du terme), songwriting éclatant (comment faire rimer « hope », « nope » et « telescope »), tentation du mainstream : Bitter tea pourrait bien révéler les Fiery Furnaces à un plus large public, et le modifier, en profondeur.