Comment dire la consternation que l’on ressent à la vue de ce film qui, paré de son costume du dimanche de film d’auteur, cristallise, pauvre chose, une certaine misère de notre cinéma d’hexagone ? On se bouche le nez, il faut bien le dire devant le nouveau film de Bourdieu Jr. On pourrait d’abord demander au réalisateur sur quelle planète il vit, pour prétendre nous faire croire à son histoire. La voici : deux étudiants en lettres tombent sous l’emprise d’un angelot fatal, orateur frimeur qui les humilie à coups de citations de Karl Kraus et tourne en dérision leur désir d’écrire au nom d’une radicalité littéraire dont il se fait le champion (mais ça cache une fêlure, vous vous en doutez bien). Le monde estudiantin, dont Bourdieu est censé être un gros spécialiste (cf. ses scénarios pour Desplechin, et son moyen-métrage Candidature), est ici représenté de manière fort rigolote, comme un troupeau de wannabe écrivains, puisque tous, absolument tous, vivent, respirent et mangent littérature, et grattent du papier en prévision du prochain Goncourt -pas sûr sûr que ça se passe comme ça, dans les amphis.
On pourrait aussi demander à Bourdieu s’il pense que son histoire, son cinéma, peut intéresser quelqu’un. Oui, tiens : qu’est-ce qu’il y a, dans Les Amitiés maléfiques, qui pourrait accrocher le regard, retenir l’attention, susciter un émoi, même minime ? La mise en scène ? Pâteuse, incolore, sans idées. Les acteurs ? Une troupe d’insupportables jeunes premiers théâtreux, desquels on sauvera Malik Zidi, subtil comme toujours. Le scénario ? Grotesque, une vague histoire d’écrivaillon, clicheteuse, auto-satisfaite, presque grandiloquente en plus. Les personnages ? A l’avenant : soit le film donne dans le cliché qui colle, sur le refrain ce-héros-qui-deviendra-écrivain, soit dans l’énormissime, avec le personnage central du récit, la petite terreur des cités U. Normalement c’est un problème qui saute aux yeux au bout de trois scènes : on n’y croit pas une seconde, à ce personnage, pur fantasme (qui en dit long) au stade du scénario, pur ectoplasme sans vie à l’écran, personnage de papier. C’est tout bête, c’est un problème d’adhésion : comment rentrer dans une histoire avec un personnage si ridicule pour ambassadeur, dont l’imposture est censée tenir tout le film (les étudiants, et même les sommités universitaires, tous font semblant de jouer le jeu, c’est pathétique) ? On peut bien réduire le film à ça, au ridicule achevé de la trajectoire de ce rebelle discount qui se prend les pieds dans le tapis de son génie contrarié, et dont les tirades assommantes rythment la narration. Faire front contre la suffisance et l’arrogance délirante du film (film pour lettrés, pour qui comprend l’exigence de la haute culture -rires), le réduire à cette peau de chagrin, parce que c’est tout ce qu’il vaut : deux balles.