Belle idée que celle de Michel Leclerc qui consiste à partir du néant intersidéral de la comédie à la française, entre grands chantiers expérimentaux et replis régressifs, pour naviguer à vue entre la naissance d’une vague et le creux d’une autre. En bref, faire de la glande un art mineur, mais un art quand même, un poil poseur un poil frondeur, juste ce qu’il faut pour ne pas couler à pic. J’invente rien est l’histoire d’un mec plus tout jeune (Kad) qui n’en a priori aucune, d’histoire. Passivité telle qu’alors même le film lancé et qu’on lui offre une femme amoureuse (Elsa Zylberstein) dans les bras, lui s’accroche à son plumard, trie les pistaches ouvertes des pistaches fermées. Personne ne lui en veut mais un peu quand même. J’invente rien se rêverait plutôt libertaire réaliste, d’où la révolte cool d’Elsa Zylberstein qui somme son Jules de trouver un boulot. Kad réfléchit à l’idée d’une invention pas trop compliquée à réaliser, pas trop chère non plus mais qui bouleverse la vie du consommateur. Son nom ? La poignette, ustensile bien pensé pour éviter de se scier les doigts avec les anses des sacs de supermarché.
Le problème, c’est qu’il faut soi-même trier la paresse volontaire du film de son incompétence inconsciente. D’abord la mise en scène : plutôt molle, entre Max Pecas et Fabien Onteniente, assez moche mais qui enlumine, par ce flottement, les lignes de force du scénario. Puis l’écriture, désespérément vouée à la posture sociétale. Très bobo crado maniéré : ode au quartier les plus cool du moment (Ménilmontant, c’est top populaire man, tu vois c’est la mixité des cultures), travail manuel revu et corrigé en glamour (de Zylberstein décoratrice d’intérieur, super mimi dans sa salopette pleine de peinture, à un jeune boucher sexy), complaisance sur la complicité régressive du couple dans un délire naturaliste période fin Klapisch début Attal, apologie de la poésie de bric et de broc (le final aberrant de conformisme faussement décontracté).
Mais avouons-le tout net, de ce grand bac à sable de lieux communs et de fantasmes de classe, on peut filtrer quelques pépites. La théorisation de la glande, lorsqu’elle est, rappelons-le, vouée stricto sensu à la fiction, est effectivement ce qu’il y a de mieux dans J’invente rien. Michel Leclerc assure lorsqu’il filme les obsessions fertilisées par la paresse, atteignant quelques éclats burlesques assez bluffant (la confection du prototype de la poignette, lutte permanente entre rêverie créative et désinvolture sclérosante) et construisant une formidable partition pour Kad, SDF réjouissant du rire télévisuel, intermittent ad hoc au cinéma, qui trouve ici le rôle de sa vie. Aussi bien dans le burlesque pur (gestuelle empesée parfois sublimée par des convulsions triviales, voire la séquence du clown) que dans l’exercice plus terre à terre de lanceur de vannes, il s’intègre surtout au film comme un corps évident, lavé de tout effort de performance. Grâce à lui, le film trouve une efficacité comique pas gagnée d’avance. Du bon boulot.