La fin approche et un rapide coup d’oeil à l’écran de statistiques m’informe que mon équipe, ma brave petite équipe, a déjà parcouru 257 km. En d’autres circonstances, ce souci de la distance aurait quelque chose de vain. Dans le cas présent, il est plutôt rassurant. 257 km. Un chiffre talisman qui vous sauve des angoisses de l’horloge, de cette centaine d’heures envolées en quelques semaines, sans qu’on sache vraiment comment. 257 km, c’est un sentiment d’accomplissement et l’occasion de s’abandonner à de petites gymnastiques mentales, pour voir ce que ça donnerait, en vrai, la vie de héros de RPG. Réponse : un Paris-Dijon franchement mouvementé. Tout au long de l’aventure, j’aurais combattu. J’aurais secouru. J’aurais libéré. Mais j’aurais aussi couru, chevauché, navigué et c’est ce souvenir du voyage, et non celui du récit, qui occupe aujourd’hui mes pensées.
A l’histoire, Dragon quest préfère donc l’espace. Aux abîmes du temps, le vertige des distances. Farouchement attaché à ses origines, il déploie ses terres, vastes et ouvertes, comme aux premiers jours du RPG oriental. Son univers n’a qu’une idée en tête, reproduire les proportions du réel en 3D. Ses châteaux, ses steppes, ses labyrinthes, notre équipe les voit à hauteur d’homme, mais Level-5 n’emploie jamais l’architecture pour écraser ses personnages (comme chez Ueda) ou pour céder au naturalisme (comme dans Oblivion). Au lieu de quoi, le joueur évolue dans un univers bariolé et enfantin où il a toutes les peines du monde à se sentir en danger, même perdu de nuit, à moitié à poil, avec 13 points de vie en poche et un statut poison qui lui pianote les cervicales. Cet espace démesuré est le théâtre d’une balade sans conséquence, naïve et sincère comme une chanson de hobbit, où tout est prétexte à attiser la curiosité et à encourager l’exploration ; nous jouons un conte de fée, dans sa thématique comme dans sa représentation, et la règle d’or, ici, est de voyager léger.
Aussi, Dragon quest se soucie peu de la vraisemblance, tant qu’il s’agit de nous amuser. Il suffit généralement de s’éloigner de la route principale pour tomber sur un coffre isolé, perdu au sommet d’une colline ou à l’ombre d’une falaise. Des coffres de ce genre, on en trouve à peu près tous les trois mètres, mais il faut toujours faire un léger détour avant de pouvoir en profiter. Et c’est ce petit détour, qui vous met le cœur en joie. Dragon quest voit le monde comme un parc d’attractions, débordants d’objets à l’abandon et de monstres errants à recruter. On part à l’aventure avec la certitude que nos audaces seront récompensées, une preuve parmi tant d’autres de l’incroyable générosité du titre. Alors, L’Odyssée du roi maudit serait ce mec sympa, un bon gars qui se satisfait de promenades et de franche camaraderie ? Pas tout à fait, puisque cette insouciance de façade ne saurait éclipser la souplesse de ses règles, la solidité de son système. De nombreuses compétences permettent ainsi de modifier les lois de l’univers pour les plier à notre volonté. Quelques heures suffiront pour obtenir les sorts qui permettent de se téléporter, de réduire le nombre de combats aléatoires ou de rameuter les monstres adverses. On se retrouve alors à jongler avec ces différents leviers pour gagner quelques niveaux à un endroit précis, éviter le combat dès que l’équipe est dans le rouge ou s’épargner une bonne demi-heure de voyage en bateau. Bien sûr, ces mécaniques n’ont rien de révolutionnaires. Et même si leur exécution est impeccable, Dragon quest se contente d’utiliser des ficelles vieilles de vingt ans. Mais quoi de plus normal, puisqu’il les a inventées ?
Que reprocher à L’Odyssée du roi maudit, finalement, sinon son infinie modestie. C’est un RPG Delerm, un générateur de plaisirs simples et de petites satisfactions, qui se joue allongé comme un crétin au soleil de Juin. L’aventure y suit son cours sans véritables pics scénaristiques et on se retrouverait presque, piteux, à se plaindre d’un jeu trop équilibré. Fidèle à sa vision du monde comme un bac à sable, Dragon quest ne travaille jamais ses séquences. Le twist de Chrono cross et la scène de l’Opéra de Final Fantasy VI sont des exemples célèbres de scènes à l’impact émotionnel fort, au risque, parfois, d’occulter le reste du jeu. L’Odyssée du roi maudit, de son côté, n’a pas grand-chose à raconter, et lorsqu’il choisit de le faire, c’est toujours avec une mise en scène parfaitement transparente : le pompiérisme, dans Dragon quest, c’est trois mouvements de caméra quand on prend le bateau pour la première fois. Malgré un casting très attachant, le scénario principal y occupe une place secondaire. Il s’efface devant cet incroyable bestiaire, où le monstre le plus insignifiant possède son animation marrante ou sa technique stupide qui vous arrache un sourire. Il s’efface devant cette carte gigantesque, qu’on contemple, durant les premières heures du jeu, avec un air décidé et une étincelle au coin de l’œil. Il s’efface, comme il se doit, car Dragon quest rappelle que le RPG, au-delà de ses récentes ambitions, n’est pas seulement une grande histoire, un manifeste ou une méditation philosophique. C’est aussi du jeu vidéo. Sid Meïer le définit comme « une succession de choix intéressants ». Dragon quest : L’Odyssée du roi maudit est une succession de choix agréables.