Homely, « familier ». C’est le mot d’ordre lancé par Peter Jackson à ses directeurs artistiques pour concevoir le look de la petite ville d’Hobbitbourg dans Le Seigneur des anneaux. Et c’est l’expression la plus appropriée pour définir l’esprit d’Animal crossing. Un environnement familier avec beaucoup de verdure, de l’herbe, des arbres, des rivières, des petites maisons campagnardes. Un environnement « familier » peuplé de gens sympas. C’était ça Animal crossing, une tranche de vie campagnarde au ralenti ou plutôt en temps réel. Sans enjeu. Sans fin.
Pour qui a rêvé d’une suite à ce concept, sa version portable, Wild world, se révèle forcément déceptive. Que voulez vous… Animal crossing était une expérience à ce point personnelle qu’il était impossible de ne pas se faire une idée précise de son évolution. Le premier mérite de ce Wild world est de réussir à grandir sans se trahir. La première surprise est sans doute que l’amitié zoo-anthropophile n’est plus véritablement au centre de l’expérience. Les animaux-villageois ont maintenant des activités, des centres d’intérêts. Mieux, ils ont gagné en spontanéité. Ils balancent des ragots sur leurs proches, s’aiment, se détestent. Ils dialoguent entre eux, changent de mobilier. Paradoxalement le joueur se sent pourtant moins attaché à ses voisins. Une frontière invisible s’est dressée : la faute aux concepteurs qui ont voulu mettre la relation humain / humain au centre de l’expérience. Animal crossing sur GameCube était un MMORPG offline pour no-life qui s’assume. Animal crossing wild world est un RPG online et massivement intimiste qui dynamite le contrat social. Malgré un système de « code ami », personne n’est désormais à l’abri de voir un fou débarquer dans son village, la hache à la main, et raser son havre de paix. Peu à peu se développent des villages à « entrée payante », le cours du navet (sur lequel on peut boursicoter) changeant d’un endroit à un autre, les propriétaires de village où le navet se rachète cher exigent un pourcentage des bénéfices. Pire, les clochettes, la monnaie locale, commencent à s’échanger contre de vrais dollars (comptez dix dollars contre 1 million de clochettes). Quelques menus dérapages qui ne doivent pas occulter l’essentiel : Animal crossing online est une expérience multi-joueur drôle, unique et stupide. En visite, on fait du shopping, on discute avec quelques autochtones, on arrache quelques fruits et puis on inspecte la demeure de l’hôte. On regarde avec envie ses bibelots -mais où donc a-t-il trouvé cette borne d’arcade ?- et on propose timidement à son ami de passer chez soi.
C’est toujours déroutant de s’apercevoir que les autres s’émerveillent autant que soi des possibilités offertes par Animal crossing. En tant que joueurs, nous n’avons tout simplement pas été éduqués pour participer à des jeux en ligne où l’on glanderait en s’échangeant des tee-shirts et des fruits. C’est ce qui explique le manque d’inspiration temporaire des premiers touristes en ligne. Car soyons clairs, les possibilités d’interaction online entre joueurs sont définitivement énormes (faire du théâtre, organiser une récolte, concours de pêche, exposition picturale…). Que reste-il au joueur ne voulant pas se connecter ? Un environnement « familier ». A l’instar des Sims, cette nouvelle version d’Animal crossing ne fait que rendre plus cohérente sa réalité et moins visibles ses mécanismes. Ses nouveautés sont drôles, inutiles, gratuites et émouvantes. Tandis que sa base ne change pas. C’est à la fois un regret et un aveu passionné. La neige n’a pas changé, les arbres n’ont pas changés, la mer chante la même marée. J’ai emménagé dans un autre village et c’est toujours chez moi.