Il a beau prétendre ne rien renier de son précédent essai, ce nouvel Horizon semble exister surtout comme antidote à une potion que ni lui ni nous n’avons vraiment digérée : Tout sera comme avant, dernier album en date, en a laissé plus d’un à la porte. Ce qui reste aujourd’hui de ce disque à deux faces (la première en forme d’hommage à L’Imprudence de Bashung -dont il n’aura restitué que l’emphase dramatique- et la seconde, plus conceptuelle encore, qui le voyait se faire mettre en son par le collectif Gekko) est le magnifique DVD en solo aux Bouffes du nord : on y retrouve Dominique A tel qu’on le préfère, débarrassé des fioritures et autres fausses bonnes idées, enfin seul, avec ses chansons et sa guitare. Paradoxe, sans aucun doute. Histoire récurrente, toutefois, avec celui dont on a appris à guetter davantage les prestations scéniques, jamais décevantes en one man band, que les rendez-vous discographiques un peu trop en forme d’auberge espagnole depuis l’implosion de l’époque Remué. Il faut dire que notre homme, éternel indécis, roi du cul entre deux chaises, n’a jamais vraiment tranché entre l’option « grand public » chic (La Mémoire neuve) et l’oeuvre au noire, limite autiste (Remué) : habile dans les deux registres, notre capitaine donne donc régulièrement un coup de barre à bâbord avant de reprendre à tribord. En chemin, notre « chantre du murmure » a perdu quelques fidèles, partis vers la concurrence : toute cette ribambelle de chanteurs nostalgiques ou sinistrement générationnels qui fabriquent une « chanson d’appartement » plus souriante que la sienne et tirent les marrons de son feu à lui.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? On nous parle d’un possible Horizon. Faut-il le voir comme une promesse (« Tout ne sera plus comme avant ») ou une impulsion (face à une mer d’huile, on se met sur moteur) ? Tournant les talons à une poursuite des aventures avec l’artillerie de EMI, Dominique A rejoint l’écurie d’Olympic Disk de son tourneur, Olympic Tour, où l’on retrouve le reste de la famille, de Troy Von Balthazar à Françoise Breut en passant par Jérôme Minière). Cette entreprise artisanale semble l’avoir séduit du fait de la perspective de redevenir « maître du jeu ». De retourner à un propos plus frontal et plus direct. Soit. Il est vrai que l’album s’ouvre sur l’épique chanson-titre L’Horizon, romanesque à souhait, enlevée, mais où on sent notre ami chanteur quand même un peu planqué derrière cette étrange histoire de baleinier en goguette, là-bas, au Groenland ! Les autres titres semblent vouloir eux aussi s’émanciper du strict périmètre des histoires quotidiennes, du petit « moi » de trentenaire de classe moyenne auquel il semble désormais préférer des récits aux contours plus flous, presque oniriques, tel cet aquatique Antaimoro. La voix, plus que jamais, manie l’Art de sauter du souffle de mourant, flanc offert, comme sur ce Music hall glaçant (possible allégorie d’un Dominique A vieillissant, oscillant entre un présent délabré et un passé mythifié) à des joutes lâchées, comme en live, dont Retour au quartier lointain est le meilleur exemple ici (en plus d’être un clin d’oeil appuyé au superbe manga de Jiro Taniguchi), bien qu’on envisage également La Pleureuse comme une future pierre angulaire des scènes à venir.
On aimerait pourtant que Dominique trouve lui aussi, à sa façon, le chemin de traverse « décomplexé » et libérateur d’un ex-collègue de promotion comme Katerine car, à l’issue d’un séjour prolongé dans les eaux glacées de L’Horizon, il s’avère que ce disque fait davantage office de résumé, d’état des lieux (mais ce point n’était-il pas censé avoir été réglé avec la somme que constitue Le Détour ?) que d’une trajectoire tout à fait renouvelée ou porteuse de surprises véritables. Cette fois-ci encore, Dominique A convainc principalement sur la foi de deux morceaux de bravoure, exécutés seul et à fleur de peau : le splendide Par l’Ouest et surtout la possible autobiographie poignante de Rue des marais, réminiscence d’un premier amour mort-né. Le reste, bien que tout à fait digne, est du bon travail d’artisan, qui ravira le fan mais ne réveillera pas le reste de l’auditoire. Si Dominique A semble penser que l’horizon gagne à ne pas être atteint, on aimerait qu’il nous conduise au-delà de la ligne de mire, comme il a su le faire par le passé.