Quelques semaines après Good night, and good luck qu’il a réalisé, Syriana, qu’il produit et interprète, continue d’imposer George Clooney dans la figure de la star engagée, une sorte d’anti-Schwarzenegger en lieu et place de Warren Beatty, vieille gloire du genre mais désormais à peine identifié par les nouvelles générations. Avec quelques films plus ou moins intéressants, du Secret de Brokeback mountain à Jarhead en passant par Lord of war ces deux films couronnés d’un certain succès et promis aux Oscars hérissent les poils sur les torses de néo-cons criant à la trahison venue de la part de stars qui incarnent a contrario le rêve américain. Hollywood serait dans son âge rebelle, on en parle partout. Calmons le jeu, quand même, parce qu’à tendre l’oreille on a l’impression d’assister à un miracle, un grand soir en smoking, un octobre sur Beverley Hills. Des films hollywoodiens menant la critique des institutions, on en a vu de tous temps. La machine n’a pas attendu George Clooney pour goûter le parfum de la subversion : Verhoeven, Carpenter, Romero, Dante, pour en citer quelques-uns toujours actifs et parmi les plus corrosifs, ont suffisamment donné de leur personne dans l’exercice. Et si ces cinéastes sont davantage mavericks qu’idoles, si leur notoriété les relègue à l’ombre des statuettes, admettons que leurs films sont un tantinet plus acides que ceux du bon George. Qui n’est pas mauvais cinéaste, mais pas non plus Guy Debord, et dont les films relèvent de la sympathique fiction de gauche, un peu mondaine et pas scandaleuse pour un sou -en tout cas de notre point de vue européen. Et la politique sans la subversion, c’est déjà le début de l’ennui.
Cela étant précisé, parlons de Syriana qui n’est pas l’oeuvre de Clooney mais la deuxième réalisation de Stephen Gaghan, scénariste du Traffic de Soderbergh mais aussi, ne l’oublions pas, de L’Enfer du devoir de Friedkin. Construit comme Traffic en un puzzle touffu, presque indigeste, Syriana donne dans la théorie du « toutélié » pour dresser le portrait d’une Amérique apeurée des monstres qu’elle enfante. Autour des liaisons dangereuses qu’elle entretient avec le Moyen-Orient -« Syriana » est le nom du Moyen Orient tel que les Américains rêvent de le remodeler, théorie du domino aidant-, le film se balade de Beyrouth à Washington, des monarchies du Golfe à Genève à la poursuite d’une réaction en chaîne qui d’un projet douteux de fusion entre deux entreprises pétrolières conduit à la métamorphose d’un jeune ouvrier pakistanais en kamikaze fanatique. Le parcours parait schématique, sur le papier, mais le film s’emploie à aplanir la planète, faisant exister parfois brillamment une multitude de lieux, comme pour reconduire la découverte que firent les Américains un matin de septembre, qu’ils ne sont pas seuls au monde. Le pouvoir s’est disséminé, le monde n’a plus d’axe, ni du bien ni du mal, il est acentré. Le propos n’est pas révolutionnaire, évidemment, mais glamourisé ainsi, luxueusement mis en scène, il renoue avec un certain bonheur avec le genre film dossier. Dommage qu’à trop vouloir exploser son récit, et farcir chaque fragment d’un didactisme bon ton, il demeure si pataud.