Allez, soyons clairs immédiatement : Get rich or die tryin’ ne vaut pas grand-chose comme film de cinéma, et il sans aucun doute bien moins valable que son modèle évident, le 8 mile de Curtis Hanson. Mais l’essentiel n’est pas là, et il est plus intéressant de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ce film échoue là où 8 mile avait, contre toute attente, le plus réussi : dans sa restitution de cet objet réputé impossible à reconstituer, le hip-hop. Car là où, malgré une évidente roublardise, 8 mile parvenait à restituer de façon assez convaincante l’énergie galvanisante du hip-hop (suffisamment en tous cas pour impressionner les spectateurs les moins au fait de cet art exigeant -faisant ainsi la preuve de sa puissance cinématographique)-, Get rich or die tryin’ ne s’élève jamais au-dessus de son statut de véhicule promotionnel. Et les raisons de ce résultat assez piteux sont moins à rechercher du côté du réalisateur, Jim Sheridan, à qui on ne reprochera pas de faire le boulot pour lequel il est payé, que du côté de sa star principale, 50 Cent, dont il embrasse les traits les plus caractéristiques, sans être capable d’en montrer autre chose que les limites.
Chacun sait que Fifty n’est pas un de ces Mcs impériaux à la 2Pac ou Eminem, ses modèles en cross-over hollywoodien. On ne le voit que trop dans Get rich or die tryin’. Sauf dans le concert de fin, mais celui-ci est déjà un clip, avec sa bande-son en play-back. Pour le reste, le parrain de la G-Unit annone, avec souvent un débit si lent que l’on met plusieurs secondes à s’apercevoir que, oui, il s’est bien mis à rapper ; et la seule scène de ce genre où il se passe vraiment quelque chose est celle où, alors que l’on menace son producteur derrière la vitre d’un studio, il répond au provocateur sans interrompre son flow anémique : certains rappers sont capables de vous faire passer les raps les plus complexes de la façon la plus fluide ; 50 Cent parvient ainsi à faire passer pour du rap les paroles les plus triviales. C’est le grand échec du film : s’il illustre lourdement le destin de self made man de son héros (« Je veux devenir un entrepreneur », répond le jeune César de l’histoire au dealer à qui il est allé proposer ses services après la mort de sa mère), il se montre incapable de montrer de façon convaincante les raisons du succès final du rapper Young Caesar, qui sont évidemment celles de Fifty. C’est ainsi que l’on ne verra absolument rien sur la formation de son style si reconnaissable et si essentiel dans son succès récent, cette façon d’habiller ses lacunes de Mc d’une mélodie entêtante. Et c’est sans aucune contextualisation que le film se conclut sur l’apothéose Window shopper, un peu comme si l’énervant mais plus méticuleux Ray avait omis de signaler que c’est à l’église que Ray Charles était allé chercher son révolutionnaire Allelujah I love you so.
Get rich or die tryin’ rejoint hélas l’innombrable cohorte des mauvais films sur le rock. Ce qui, encore aujourd’hui, fait la force du rock (ou du rap, c’est la même chose), c’est justement sa capacité à faire croire qu’il est vrai. C’est la raison pour laquelle les bons films sur le rock sont choses rares, et ne vont jamais au-delà du documentaire (et 8 mile n’est pas une exception à cette règle). Get rich or die tryin’ aurait gagné à retenir cette leçon, et à renoncer à la plupart des artifices fictionnels qui le plombent (les éprouvantes scènes de romance avec la copine d’enfance, les intrigues à la New Jack city à deux balles, et on vous épargne le père caché et les grands-parents gentils…).
Finalement, c’est encore lorsque le film s’essaye (très timidement) à tutoyer cette frontière entre la réalité et la fiction qu’il est le plus intéressant ; comme dans cette brève scène où l’on voit le concurrent de Young Caesar, le malheureux Dangerous, en train d’enregistrer l’un de ses hymnes gangsta frelatés, assister horrifié à l’exécution (bien réelle, elle) de ses potes de l’autre côté de la vitre du studio, écho inversé de la scène décrite plus haut où Young Caesar, dans la même position, avait opposé ses rimes aux intimidations de ses ennemis. Dans le genre, on préfère encore le Biggie & 2Pac de Nick Broomfield, qui n’est pas meilleur. Ici les personnages avaient au moins l’avantage d’être un peu plus crédibles (et pour cause).