La trilogie Dirty Diamonds s’achève au firmament de la hype, dans la foulée de la compile Toxic, après avoir fait les beaux jours (et pas mal de nuits) de la capitale. Fers de lance du dernier chic underground, le Dirty Sound System se compte maintenant parmi les outsiders du Quinte + (Kitsune, Tigersushi, Institubes, Ed Banger) qui squatte les nuits parisiennes, sonnant le glas du clubbing démocratique a l’ancienne, au grand dam des fauchés. Mais le tir est rectifié grâce a une release party étendue sur tout le week-end et à laquelle vous êtes sommés de vous rendre toutes affaires cessantes.
Aussi perspicace qu’opportuniste, le maître de cérémonie Guillaume Sorge, assisté de ses deux vizirs Goux & Morando, a le pif aguerri pour renifler les tendances. Cette sélection donne donc un avant-goût de ce qui bercera prochainement le cénacle fashion acquis à sa cause, mais plus sûrement encore tous les chasseurs de tracks compulsifs et autres mélomanes passionnés, perpétuellement avides de (re)découvertes. Car ces receleurs de « diamants sales » cultivent une ligne musicale érudite et bigarrée (deja amorcée par Optimo ou Kill The Dj) qui les écartent du seul statut d’entertainer pour jeunesse dorée et dénote un goût de plus en plus affirmé pour les musiques de traverse, ménageant juste ce qu’il faut comme audace (une petite pipe de crack à La Chapelle avant de tracer au Baron, hein ?) pour alpaguer le hipster et titiller la putafrange, tutoyer le VIP tout en hameçonnant le touriste noyé dans un océan de spams et qui ne sait plus à quel sein se vouer. Loin des ciblages marketing qui obéissent a une obsolète loi des genres, les Dirty ont délibérément choisis de prendre le parti du contre pied en effectuant des allers-retours dans le temps, revisitant a leur guise l’histoire de la pop et ses accidents de parcours, au figuré comme au propre (chute d’une fenêtre, chute d’un vélo, ça vous rappelle quelqu’un?).
Le tracklisting, quasiment irréprochable, explore les contre-allées d’un demi-siècle de musique avec une prédilection pour les icônes intemporelles (Kevin Ayers, Soft Cell, Skeeter Davis, Margo Guryan et les deux réponses au quiz trois lignes plus haut), les compositeurs prophétiques (Francois de Roubaix, Ennio Morricone) les gardiens du temple novo-electro (Cristian Vogel, The Emperor Machine, Isolée), ou les anti-héros en voie de canonisation (Earlies, Animal Collective, Brooks, Herman Dune, Caribou, Turzi). Plus l’ombre d’un beat a l’horizon, les sons organiques sont bel et bien remontés à la surface, témoignant du regain d’intérêt pour les arrangements chiadés et les structures répétitives expérimentées au début des années 70 (gros, gros, gros marronnier krautrock, indégommable même après le passage de cinquante bûcherons). Alors, un petit buvard pour la route? Les 21 titres réunis sur ce double CD s’écoutent à la file, invitant l’auditeur à une pérégrination psychédélique dans laquelle tout organisme normalement constitué devrait s’engouffrer sans la moindre résistance une fois acquitté des références qui clignotent comme des néons dans une boîte gay de San Francisco. On amorce avec un vrai-faux classique new wave tout en élégance feutrée (Walking in the rain de Flash And The Pan) avant de choper le rythme de croisière, dodelinant de la tête entre rodéos harmoniques et chœurs chatoyants, nonchalance folk et lignes de basse érogènes. Et qui voilà sur la route ? Hope Sandoval, l’ange de Mazzy Star dont on croyait le destin scellé à coup d’anxiolytiques. On la dépose un peu plus loin, alors que le frangin Düne entame une reprise acoustique de Bronski Beat, et puis s’en va. Sur le deuxième CD, à écouter de préférence dans la pénombre d’un boudoir, règne une atmosphère nettement plus austère, dominée par l’imposante (et sublime) pièce symphonique d’Ennio Morricone, dix sept minutes de tension extrême, autour desquelles se cristallisent des morceaux qui se font écho les uns aux autres, comme au jeu du marabout-bout de ficelle. Les expérimentations proto-ambient de Francois de Roubaix se reflètent dans le funk technoïde de Vogel, lui-même servant de tremplin à The Emperor Machine, qui rebondit sur une aberrante side B de Soft Cell, suivi d’un OVNI proto-disco, et ainsi de suite. Et c’est dans une drôle d’apesanteur que s’achève le disque, avec une chanson d’adieu des années 50 aussi belle que désespérée. The End of the world. Qu’on ne s’y trompe pas, rien de tout cela n’est laissé au hasard. Les Dirty prennent un malin plaisir a rendre l’auditeur implicitement complice d’un jeu de pistes dont eux seuls tirent les ficelles, laissant sourdre au final une insidieuse mélancolie.
La marque de fabrique Dirty, hormis un website devenu référentiel, c’est cette collision d’éléments a priori disparates soigneusement juxtaposés ou recontextualisés au second degré, à l’image de la pochette, ouverte aux interprétations les plus scabreuses. Inutile de se poser trop de questions pour profiter de cette cuvée unique en son genre qui vit sa propre histoire selon l’humeur et la personnalité de chaque auditeur. Elégance et oppression, c’est une belle formule.