Sans doute Guernesey n’est-il pas le film sexy que la jolie paire de fesses trônant sur son affiche laisse supposer. Mais on comprend bien que les distributeurs se soient arrachés les cheveux pour trouver un moyen de rendre attirant ce film néerlandais aussi remarquable que condamné à disparaître des écrans aussi vite qu’il est arrivé, noyé dans le flot toujours plus gonflé des sorties. On n’y peut pas grand-chose, sinon faire l’éloge de ce second long-métrage présenté l’an dernier à la quinzaine des réalisateurs.
La jolie paire de fesses de l’affiche appartient à Johanna ter Steege, que l’on connaît pour ses rôles chez Philippe Garrel (La Naissance de l’amour, J’entends plus la guitare). Elle incarne ici Anna, une jeune femme secrète et intense, mariée, un enfant. Spécialiste de l’irrigation en pays sec, elle se rend à l’étranger pour superviser des travaux. C’est au cours d’un de ses voyages que sa vie bascule : elle découvre le corps d’une de ses collègues, rencontrée la veille, pendue dans sa douche. On lui demande si ça va, si elle a encaissé le choc, elle répond oui. C’est vrai, Anna a absorbé l’onde de choc, mais plus rien n’est pareil, sans que son visage impassible, son expression blanche ne semblent perturbés. Sous la peau du quotidien, de l’identité de tous les jours, quelque chose a changé. C’est d’abord le regard d’Anna et c’est autre chose qu’une mélancolie, c’est l’évidence de tout qui blesse. Anna suit son mari, presque pour rien, comme ça. Et c’est comme si sa filature invoquait quelque chose, elle découvre qu’il le trompe.
Sec, épuré à l’extrême avec une prise de son très nette et sans la moindre note de musique, Guernesey fixe ainsi la névrose de son personnage dans la nudité la plus complète. Une sorte de dépouillement affectif qui cherche tout au long du récit une instance, un roc à quoi se frotter. Ce roc, c’est Guernesey, île ou le père d’Anna possède une maison. Là, le film file droit vers Stromboli, il lui faut une révélation, des rochers, comme pour casser l’austérité des cadres et la précision d’une mise en scène rétive à tout effet. Et surtout pour donner enfin un nom à ce malaise : Guernesey.