Takitani, Tony de son prénom, est un homme sans histoires, île à soi, bulle atone, vie blanche. Il rencontre Eiko, elle est plus jeune que lui et après avoir réfléchi elle accepte de quitter son compagnon pour vivre avec lui. Le couple s’installe, la vie coule, mais quelque chose manque à chacun : il vit dans la terreur quotidienne de la perdre ; elle ne cesse de combler un vide par l’achat compulsif de vêtements de grandes marques, au point qu’il devient nécessaire d’aménager, au foyer, une pièce entièrement dévolue au stockage de ses emplettes. Film en sourdine, à l’image de ses personnages, Tony Takitani est l’adaptation d’une nouvelle de Haruki Murakami. Très ferme, le rapport à l’écrit s’établit autant dans le choix de la forme brève (1h15) et la décision de Jun Ichikawa de ne pas chercher à augmenter la quantité de récit proposée par Murakami. Le film s’applique en son début à formuler le problème classique : raconter l’histoire d’un homme sans histoires. On retrouve dans cette mise en place cotonneuse quelque chose de la patiente description littéraire, une sorte de romanesque minutieux, laborantin, plane. Non que le film se résume à une plate mise en images d’un récit. Il ambitionne, c’est plus noble, de réactiver par la mise en scène des procédés littéraires. Créer du tissu, du texte, à partir d’une poignée de motifs tels que ceux-ci : souveraineté sans partage d’un mouvement d’appareil (un travelling latéral gauche-droite glissant à travers une forêt d’amorces) ; dispositif sophistiqué où les personnages complètent d’eux-mêmes, in, les commentaires de la voix off ; distribution des quatre rôle principaux à deux comédiens, etc.
C’est la force, la beauté du film en même temps que sa limite. Soyeux en tout, il monte en émotion (la première partie du film, théorème de substitution avortée) à mesure qu’il s’étouffe sous son camouflage. De proposition murmurée, fragile, la mise en scène paraît soudain, au détour d’un effet déjà vu, s’assoupir sur son lit de ouate. Certes l’émotion vient une fois (une crise de larmes) déchirer ce confort. Mais petit système, même ténu et discret, reste système. On a l’impression alors que le film n’a pas changé, pas évolué depuis qu’il a débuté. Sentiment de surplace redondant avec le cocon névrotique du héros, tout entier dévolu à la peur qu’il l’anime, peur de s’effondrer, de se laisser engloutir par les jours solitaires. A trop jouer sur l’effacement de son personnage éponyme, Tony Takitani bientôt disparaît à vue d’oeil, s’évapore par tous les plans.