Signe des temps : 2005 était placé sous le joug du revival rock choucroute et du trip psychédélique terminal : des messes noires pharaoniques (Sunn O))), Thralldom…) à la joaillerie folk-pop (Animal Collective, Six Organs Of Admittance, Vashti Bunyan, Herman Düne…) et hypno-hip-hop (Edan), en passant par les visionnaires avant-gardistes (Black Dice, Gang Gang Dance, Wooden Wand, No-Neck Blues Band, Sunburned Hand Of The Man …) ou les druides de la disco hyperkinétique (Isolee, Emperor Machine, Lindstrom, Francisco, Kelley Polar…), les cloisons musicales explosent enfin pour emplir nos âmes de sonorités indélébiles, de celles qui résonnent encore de kling klang à faire vibrer la mâchoire. Nous voilà plongés dans l’expectative d’un « monde qui chang », comme dirait le slogan pro-libéral de la Poste, et c’est pas rien de le dire.
OOIOO (ne nous demandez pas comment ça se prononce) est mené par la menue Yoshimi, batteuse et crieuse de choc chez les Boredoms. Cette grande copine de Kim Gordon (avec qui elle formait le duo Free Kitten) n’a pas attendu qu’Armageddon frappe aux portes de la perception pour nous butiner le cortex en invoquant le Dieu Ra. Au pays du Soleil Levant, on voue depuis belle lurette un culte sans bornes aux gourous du space-rock d’antan (Hawkwind, Magma, Gong, Heldon, Agitation Free…), seule musique, semble-t-il, à même de renvoyer l’écho d’une spiritualité animiste qui cohabite paradoxalement avec la société de consommation.
Derrière un magnifique livret couvert d’arabesques colorés et de paysages mentaux hallucinés, OOIOO nous embarque dans un univers utopique qui reluque sacrément vers le « Free Form Freak Out » des seventies. Ca démarre au quart de tour par un pèlerinage heroic-fantasy sur les cimaises de la Montagne Sacrée, conduite par une trompette piquée à Nino Rota, avant d’embrayer sur le registre pluie d’étoiles, percussions tribales sur fond de jungle idyllique et voix de sirène orchestrée par du prog-rock sauce nipponne. Les tablas sont de sortie sur Mountain Book, virée en tapis volant entre deux anneaux de Saturne sur fond de chant cristallin, genre Heidi en montée de MDMA. Respirez un grand coup et ouvrez grand vos chakras, le groupe se barre ensuite dans un accompagnement inspiré de toute évidence par Moondog et Sun Ra, mais avec cette fâcheuse tendance à diluer les arrangements dans des effets ostentatoires (flanger et reverb a gogo) qui finissent par surligner l’aspect suranné de la musique. Du coup, le trip fonctionne par à coups, mais provoque aussi une certaine lassitude, même si l’on se laisse plutôt agréablement porté par la voix évanescente de Yoshimi.
Curieux comme le rock japonais a beau mélanger une somme énorme d’influences hétéroclites, il sonnera toujours irrémédiablement japonais, un je ne sais quoi dans les timbres qui saute à l’oreille, un culte poétique pour l’exotica doublé d’un goût démesuré pour le baba-coolisme aigu et un mysticisme confondant de candeur. Alors que les Boredoms crépitaient dans les années 90 d’idées tordues, entre anti-musique cathartique, disco-noise, hystérie hardcore et delirium pop-art poussé au paroxysme, il semblerait que l’épiphanie Peace and Love les ait engloutis dans un maelström mystico-new age qui sent un peu trop le réchauffé, à l’instar des illuminés Acid Mother Temple. Alors, OOIOO / Témoins de Jehovah même combat ? Le Japon, ultime bastion de la communauté neo-hippie ? Yoshimi future élue de Devendra Banhart? On peut rêver…