On va sûrement lui faire le coup de « l’école de Nantes » un peu partout. Pourtant, Thierry Le Coq, déjà auteur de deux albums depuis 1999, présente avec Tête de gondole un album plus complexe qu’il n’y paraît. De prime abord, on s’attend à la suite logique de Interludes, son très beau recueil de chanson paru en 2003, déjà sur Saravah : il y a un peu de ça avec des morceaux comme Tête de gondole où Le Coq rappelle sa capacité à trousser des titres assez « faciles », du genre que l’on garde en tête dès la première écoute : ici, on n’est pas si loin que ça de la période « ligne claire » de Dominique A -l’école nantaise, donc. Entendez par là l’album le plus Télérama de Monsieur Ané, c’est-à-dire La Mémoire neuve et ses efficaces ritournelles à deux voix. Ce titre, vraisemblablement le titre d’appel de l’album, conduira cependant les auditeurs potentiels sur une fausse piste tant le reste de cet opus demande un peu plus d’effort pour se livrer.
On commence d’ailleurs par un instrumental mystérieusement titré Erg song / Reg song qui traîne ses pas plutôt dans le quartier de Charles-Eric Charrier, du groupe nantais MAN -une toute autre école !- qui a produit et « mis en sons » ces chansons pour Le Coq : Erg song / Reg song lorgne donc vers les structures délicates et alambiquées de Clogs -amis proches de MAN- et pourra autant séduire les amateurs de musique « ambitieuse » que désarçonner les amateurs de nouvelle chanson française, potentiellement en terrain étranger.
Qu’importe, la couleur est donnée : Tête de gondole va s’étirer sur près de 45 minutes dans des climats aquatiques et en demi-teintes. Chronique sismique le voit s’éveiller, avec cette manière de convoquer des états et des lieux, toujours très évocateurs (« Le petit jour entre en rayon / Mes paupières sont gonflées / Tout est maintenant silencieux / Le ciel ne peut tomber / Soudain je réalise que la terre a tremblé / Comment cette chose inerte / Peut-elle me réveiller ») qu’on aimait déjà sur l’album précédent, avec des titres comme Eté furieux ou Les Angles morts. La nouveauté est toutefois de mise, introduite sans doute par les éléments plus expérimentaux et inventifs apportés par Charles-Eric Charrier, car les chansons subtiles de Le Coq sont rehaussées de passages tendus (les guitares stridentes et tendues qui passent par Musique de fond ou Chronique sismique), de claviers psychés (l’insomniaque et toxique La Jupe avec ses climats entre early Pink Floyd et Doors méditatif), ou d’électroacoustique artisanal (J’m’énerve tout seul, comme une version « francisée » de Tarwater). Peut-être poussé par la dynamique de ce travail à quatre mains, Le Coq nous livre ici sans doute sa plus belle chanson, parvenant à faire du neuf avec un vieux sujet : Les Affaires de femmes. Ce morceau de bravoure décline, près de cinq minutes durant, une sorte de mantra érotique, quelque part entre le Meccanium de Pierre Bastien et les rêveries de Murat, qui nous en dit long (« Les affaires de femmes nous démangent / Leurs formes engoncées dans leurs filets fleuris / Elles attendent qu’on les libère / Et qu’un bourgeon bien mûr éclôt dans leurs forêts bien noires »). Dans les autres bonnes surprises de ce disque, on peut noter également une adaptation assez lumineuse et presque Beatlesienne du Do your thing du barde Moondog : on vous l’a dit, Le Coq aime surprendre et dérouter, quitte à s’éloigner des fameuses têtes de gondole de la chanson-titre. Ce disque mérite une écoute attentive, peu fréquente à l’ère du MP3, avant de livrer tout son arôme, mais ravira tout mélomane sensible au décloisonnement des genres et à l’innovation dans le registre actuellement étriqué de la chanson française.