Retour de l’enfant vaguement terrible du cinéma français, qui connaît depuis quelques films un net déclin de louanges. Signe fort, la présentation anonyme de ce Temps qui reste au purgatoire cannois d’ »Un Certain Regard » à Cannes 2005. Surnombre de films (un par an), moments d’égarement (se rappeler de la vacuité de Swimming pool), ou tout simplement fin du quart d’heure d’hystérie glorificatrice, les raisons pullulent, et franchement, on s’en fout un peu. La bonne surprise, c’est qu’Ozon lui-même n’en pense pas moins, livrant son produit culturel sans bruit ni fureur, avec toutefois le sentiment pugnace que l’avenir n’a plus la brillantissime confiance d’antan. On n’ira pas jusqu’à parler de film de la maturité puisque rien n’éclot vraiment ici. Non, Le Temps qui reste porte bien son nom, oeuvre-constat, en phase de boucler la boucle d’un univers qui suffit tout juste à la nourrir. Belle simplicité, à mille lieues de l’arrogance surfaite habituelle (Ozon était jusqu’alors l’exemple-type du petit roquet se prenant pour un vieux maître) qui déleste accessoirement les arcanes de son cinéma.
L’intrigue rejoint directement celle de Sous le sable. Histoires de mort et de corps donc, qui inversent l’équation du film originel. Là où Charlotte Rampling ne pouvait entrevoir de deuil faute de cadavre, Melvil Poupaud condamné à une fin rapide, cherche à imager la grande faucheuse. Du coup, pas de trajectoire toute tracée, Ozon se refusant au mélo par le mutisme de son personnage. Conséquence logique et plutôt courageuse : alors que Sous le sable glissait dans un fantastique glacial relativement malin, Le Temps qui reste longe le néant, retourne en arrière faute de mieux, stagne aussi, dans une chronique réaliste assez masochiste. Elle y décante cruellement les nombreuses tentations qui émaillent l’oeuvre du cinéaste, ici condamnée à l’impasse, petite ou grande : recours à la pose chic et fastoche entre psychanalyse et provocation (le passage vie-mort via l’homosexualité du héros dans une scène de sexe puis de séparation, suivi d’un triolisme avec un couple rencontré sur l’autoroute), naturalisme du cinéma bourgeois (engueulades, déjeuners, parents béatifiés, appartements et boulots bobos), malice cinéphile rapidement éteinte.
Impasse certainement, mais touchante, tant la lassitude classieuse est salie par les conventions du sujet. Accepter la mort revient ici à se résigner à une humilité monacale, comme ponctuer le récit de flash-back, ne forcer aucun dispositif, ne saisir de l’attente funeste qu’un délitement d’images, un flottement un peu basique mais aussi brut qu’efficace. Le film bascule vraiment dans cet effet de pilotage automatique après la visite du héros chez sa grand-mère, la seule confidente parce qu' »elle aussi va bientôt mourir ». Séquence troublante, très intense, dont on attend beaucoup, notamment pour Jeanne Moreau en archange de la Mort mi-envoûtante mi-zombiesque, son meilleur rôle depuis longtemps. Mais d’abord précis et prêt à se déployer, ce mini-film lâche prise bien vite, les flash-back et autres embrassades remontent à la surface et l’on quitte vite fait cet encas que tout prédisposait au plat de résistance. Comme si Ozon peinait à délayer ses plans, comme s’il ne pouvait rien faire d’autre que l’esquisse dans les bons jours ou la posture dans les mauvais. Pour du cinéma nombriliste, c’est assez sincère.