Après le beau Tornando a casa, Vento di terra confirme Marra en principal espoir d’un cinéma italien qui en manque cruellement, perdu entre folklore solaire et décrépitude berlusconnienne. Dans un faubourg de Naples, Enzo vit parmi les siens. Lorsque son père meurt brutalement, il doit prendre en charge sa mère et sa sœur. Rien de neuf en apparence dans ce récit de petites gens, suivant respectueusement les codes du néoréalisme comme on ferait un film-dogme (acteurs non-professionnels, refus de tout artifice), et pourtant : Marra n’a pas son pareil pour imprimer les espaces et les corps dans des cadres à la précision diabolique, jouant d’un flottement apparent pour construire en réalité un film-flèche au mouvement souverain et à la limpidité éclatante.
Ligne droite, épure, brièveté sont les armes de Marra. Manière pour lui de tenir, en moins d’une heure vingt (économie peu commune), plus de temps, d’espace et de liberté que dans n’importe quel film-fleuve produit en Italie depuis des lustres. Il suffit de voir avec quelle lourdeur le nouveau film de Marco Tullio Giordana (Une fois que tu es né, en salles le 14 décembre) traite du sujet de l’immigration, qui était aussi celui du précédent film de Marra (Tornando a casa) pour mesurer ce qui sépare le style emphatique et téléfilmique de Giordana de l’éclat de justesse avec lequel Marra traite des petites gens et des couches les plus défavorisées de la société italienne. Cela tient moins à la forme, si humble, de ses films qu’à cet équilibre entre frontalite et dignité qui porte chacun des mouvements et des cadrages de sa caméra.
Enzo, dans le film, est un de ces personnages simples et magnifiques qui hantent l’âge d’or du cinéma italien, mais aussi et surtout un personnage s’inscrivant dans une sorte de présent et de contemporanéité absolus : figure lumineuse d’hier ou d’aujourd’hui, traversée par l’histoire (ainsi de la justesse d’évocation de la génération de soldats sacrifiés lors de missions de routine par l’usage d’uranium appauvri) mais dont les silences, la tendance au reflux permanent en disent plus que tout discours (ce flux discursif qui plombait par exemple l’épouvantable Nos meilleures années). Cinéma de la présence et de la hantise, bien sûr, dont la belle transparence témoigne d’une maîtrise et d’une pudeur sans équivalent dans le champ du cinéma social contemporain.