Avec Le Voyage de Félicia, Atom Egoyan imagine les conditions du croisement improbable de deux destinées, dont la convergence s’opère sous l’action d’une fatalité impitoyable, rapidement prise en main par le machiavélisme pathologique qui anime un tueur en série. Félicia quitte l’Irlande pour tenter de retrouver son petit ami parti travailler en Angleterre sans lui laisser d’adresse. Tandis qu’elle erre dans une zone industrielle anglaise, Hilditch un entrepreneur débonnaire lui propose son aide. Au cours d’une lente contemplation nimbée de paranoïa (chaque plan porte en lui une menace imperceptible), durant laquelle un psychopathe émerge des zones d’ombre d’un univers quotidien pourtant banal voire rassurant, ce hasard providentiel va délicatement se transformer en piège potentiellement mortel. De cet engrenage tragique d’origine accidentelle, Egoyan tire un récit d’apprentissage où l’innocence naïve s’évapore brutalement sous les coups de boutoir de la perversité.
Par le jeu du montage, des correspondances dissonantes se créent peu à peu entre la situation présente des personnages et leurs intentions originelles. De violents contrastes fissurent alors la personnalité des deux protagonistes. Félicia, lancée dans une quête d’amour, expérimente le mensonge, la cruauté, la manipulation. Réciproquement, la conscience de sa propre monstruosité prend mystérieusement corps dans l’esprit de Hilditch. L’image réelle du crime crapuleux remplace l’illusion d’un échange affectif. Malheureusement, au lieu de s’en tenir à l’observation de ces symptômes et aux indices qui trahissent leur manifestation, Egoyan se lance dans une exploration interminable et fatalement réductrice de la personnalité de Hilditch. La résumer à un traumatisme d’adolescence lié au comportement de sa mère gâche lamentablement le trouble causé par la description distanciée de son comportement. D’autre part, cette introspection grossière participe à la création d’une perturbation (au même titre que le processus de l’avortement, les interventions des témoins de Jéhovah, etc.) qui interfère de manière néfaste avec le cœur du sujet, jusqu’à le diluer au point de lui faire perdre toute saveur.
Finalement, en dépit d’une grande pertinence dans l’orchestration de la rencontre fortuite entre la proie et la victime, de l’ambiguïté tragique qui accompagne la conduite de Hilditch, de la touchante obstination candide avec laquelle Félicia se lance à la recherche de son ami, le voyage de cette Irlandaise en Angleterre s’oriente le plus souvent vers des contrées psychanalytiques aussi limpides que pauvres.