C’est le ministre de l’identité nationale qui va être content : Dialogue avec mon jardinier, le nouveau long métrage de Jean Becker, chante l’éternelle beauté d’une France réactionnaire mais pleine de bon sens, réconfortée d’être toujours elle-même (ou bien de le croire), proche de ses racines. On se souvient qu’une micro-polémique avait à peine terni le succès des Enfants du marais, lorsqu’un critique avait stigmatisé dans le film un « pétainisme light » au travail. C’était bien vu. Il fut souvent dit pendant la dernière campagne présidentielle que le pays était confronté à un choix de société, à une alternative de valeurs. Celles du film de Becker, au moins, sont faciles à identifier, et il se trouve qu’elles ont gagné la bataille le 6 mai : apôtre d’une France qui se lève tôt, se tue à la tâche sans se plaindre, qui sait dire merci docilement et sur laquelle on s’attendrit un instant.
Dialogue avec mon jardinier : un artiste (Auteuil) revient au pays et retrouve un ami d’enfance qu’il embauche comme jardinier. Ils dialoguent. Quel est le plus philosophe des deux ? L’homme aux bottes en caoutchouc, bien entendu, dont la plouquitude est vomitivement surchargée, avec les mêmes procédés utilisés par Ulrich Seidl pour humilier les classes moyennes. Mais – attention, dialectique – le jardinier se trouve être un cheminot en retraite, peut-être même un ancien de la CGT, genre qui bloque les trains et tout. Par quel tour de passe-passe ce cinéma encroûté parvient-il à faire d’un nuisible pareil l’angelot gentil du poujadisme le plus gluant ? C’est un peu la même embrouille qui permet à un candidat aux présidentielles de citer Blum et Jaurès à tours de bras. Magie magie.
Bref, au péquenaud philosophe incapable de comprendre l’art mais bosseur, balaise en météo et en plantage de choux, à lui, donc, les aphorismes du bon sens près de chez vous. A charge pour l’intellectuel de raconter son histoire, l’oeil mouillé. Mais Becker, bien sûr, est du bon côté, côté jardin, serrant le flanc contre ces pécores un peu demeurés, un peu bourrus, mais tellement sympas, et renvoyant les artistes, les intellos parisiens et autres feignasses assistées à leur superficialité et leur ignorance des vraies choses de la vraie vie – toujours cette vision de l’identité nationale qui ne s’exprime que par oppositions. Quand les uns et les autres se rencontrent, il arrive toutefois que le courant passe, c’est la leçon du film. Auteuil apprend plus en un été aux côtés du Saint Jardinier que dans toute sa vie de patachon, bien sûr, et se convertit à l’opinel et aux charentaises. Preuve que les artistes selon Becker ne sont pas tous pourris, n’est-ce pas ? En effet, mais c’est encore pire : les prolos s’aplatissent en mercis comme de bons chiens-chiens, tandis que l’artiste tire de sa rencontre une série d’œuvres sur lesquels s’enthousiasme l’œil expert de la faune artistique parisienne. Propagande purulente, définitivement pas light, à voir un dimanche soir sur TF1.