Peter Molyneux a de bonnes idées, d’intéressantes obsessions (Dieu, le bien, le mal) et de très excitants projets en tête qu’on est ravi, à l’avance, de pouvoir expérimenter un jour sur sa machine (Populous, Dungeon keeper ou Black & white -dont l’opus 2, joli mais anecdotique, vient de sortir également). Mais Peter Molyneux est aussi un grand pragmatique : en marge de ces plus beaux fantasmes de game-designer démiurge, notre homme revoit de temps en temps ses ambitions à la baisse pour renouer avec des genres vidéoludiques plus convenus. Témoin, The Movies, simulation / gestion au travers de laquelle vous devez ériger le studio de cinéma le plus rentable de l’histoire du 7e Art. Un jeu en apparence plus humble, derrière lequel se cache tout de même les volontés perfectionnistes du big boss de Lionhead ; C’est d’autant plus flagrant à travers un concept vidéoludique limpide et délimité comme celui-là.
The Movies propose en réalité deux jeux en un : une espèce de Theme park pour la création et l’évolution du studio (installations, embauches du personnel, finances, marketing, hygiène, R&D…) et un Sims-like pour la forme et la gestion humaine du personnel (relations entre les réalisateurs et les comédiens, images, caprices de stars, relookages, répétitions, relations presse…).
D’abord, les années 20. Facile à ce moment là, longue phase tutoriale un peu molle et ennuyeuse en prime, d’en mettre plein la vue en bricolant quelques nanars bien juteux, avec de premières starlettes pas trop exigeantes. Puis les années passent, les subtilités du jeu se dévoilent, petit à petit vous voilà en mesure de tout contrôler, des paramètres financiers aux aspects artistiques. Beaucoup de social et de psychologie également pour gérer des recrues de moins en moins malléables : stress, ennui, humeur, revendications salariales, éventuelle boulimie et dépendance à l’alcool. Tout est affaire de dosage, d’équilibre : les allers-venus au bar, par exemple, ont l’énorme avantage de ranimer le moral des troupes mais c’est aussi une pure perte de temps et donc d’argent. Si le succès financier et artistique -via l’obtention de récompenses durant la cérémonie des Prix du 7e Art annuelle- est au rendez-vous, les chevilles enflent comme les poitrines chez les vedettes, tous ces facteurs entrant alors d’autant plus en ligne de compte. La priorité consiste à faire évoluer la filmographie du studio sachant que la concurrence, cynique, putassière, met le paquet et que le temps, l’Histoire (l’actualité) en accéléré change constamment la donne. Selon la nature des événements, les goûts, les mentalités et les attentes du public varient, il faut donc s’adapter, profiter des événements même pour taper dans le mille (dans les genres SF, amour, comédie, horreur ou western, pas question de mélanger les genres). C’est l’aspect le plus réussi de The Movie, ce qui fait que le jeu, ancré dans un genre par nature assez statique (les grands principes de la gestion sont invariables), arrive à nous surprendre, à nous exciter. Au delà du contexte novateur -Hollywood, mais on l’attendait-, The Movie n’est donc absolument pas un add-on « Les Sims à Hollywood » et surpasse même sans difficulté tous les derniers jeu de gestion-simulation sortis récemment. Ça fourmille de détails, d’idées, on sent que Lionhead a peaufiné son rejeton pour être le plus irréprochable possible, au moins s’agissant de l’aspect gestion d’un studio de cinéma. Parce qu’inévitablement, les choses se gâtent en ce qui concerne la durée de vie du jeu : une fois la mécanique de gestion du studio et de création de films bien intégré, on reproduit bien sûr sans arrêt la même boucle.
C’est là qu’intervient la fausse bonne idée de Lionhead car The Movies, figurez-vous, n’est pas seulement un jeu : c’est aussi un véritable studio de montage, un « atelier de création ». Au fil du temps et de l’expérience acquise, le joueur peut intervenir sur toute la chaîne de conception d’un film : rédaction du script, casting, choix des décors, jusqu’à la postproduction. On peut même, au préalable, si le script manque de précision pourrait-on dire, s’immiscer directement dans les phases de tournage pour accentuer ou amoindrir les sentiments mimés par les acteurs, voire même corriger complètement leur jeu pour récupérer les bonnes prises en post-prod’ et jouer les apprentis Tsui Hark sur cet Adobe Première ou Final Cut Pro du pauvre (joie : les intéressés peuvent s’échanger leurs plus belles productions sur le Net). Bref, pas de quoi flatter ici nos pulsions productivistes, même si certains, semble-t-il, savent déjà en profiter (cf. « The French Democracy » sur le site officiel du jeu). Naturellement, pour arriver à ses fins, il ne faut pas viser autre chose que le pur produit hollywoodien, avec son script rebattu et ses grosses ficelles scénaristiques. D’ailleurs, The Movies assume complètement son statut de simulateur de studios à films pop-corn. Et de ce point de vue là, encore une fois, c’est indéniable, Peter Molyneux a tout prévu, y compris les clichés les plus éculés (sauf peut-être chez Europa Corp).