Tout n’est pas à jeter, dans Bataille dans le ciel. Par exemple ce plan de 3 ou 4 secondes, qui intervient peut-être au tiers du film, sur un rétroviseur vibrant au rythme tatapoum d’une musique basse. Et puis un autre, dans une station-service. Par contre il faut tout jeter de l’idée que se fait Carlos Reygadas du cinéma. L’épouvantable Japón et ses pulsions sous-tarkovskiennes avaient déjà tué dans l’œuf tout espoir de voir dans la personne du Mexicain un tempérament vif et sincère, la promesse d’une aventure. Que le film ait pu éblouir, ce n’est pas un mystère. La provoc’ selon Reygadas, au fond ce ne sont pas ses spécialités locales : des cadavres par-ci par-là + des scènes de baise franches entre corps hors normes, octogénaire ou obèse. Ce qui plait, au contraire, c’est ce qui ne se verrait pas, trop énorme : sa poésie de troubadour de l’apocalypse (musique stéréo sur images de poster : attention à l’orage) et sa métaphysique branquignol (trois plans sur une casserole, et on devrait avoir l’impression d’être en duplex avec St Thomas). En un mot son style un peu pute de plans longs et d’idées courtes.
Sa Bataille dans le ciel, Reygadas le rebelle l’a montée, démontée, remontée pour la caser à tout prix en compétition au dernier festival de Cannes. Il y fit, on s’en doute, son petit effet, départageant les initiés, ou plutôt les clients, des gentils (comme on disait autrefois), des incultes, des puritains. Reygadas a parfaitement compris quel bénéfice il peut tirer de pareilles fractures organisées par les vrais curés du cinéma. A lui la transgression, à lui le scandale et la beauté, pour peu qu’il sache donner la communion à ses ouailles. Les hosties, ils les a dans la poche, elles sont vagues : des corps, de la chair, des questions, des pourquoi, des pourquoipas, des fulgurances, des plans-de-cinéma. Et pour faire passer le tout, du saignant (meurtre à l’arme blanche) et du bien cuit : scènes de cul avec rides ou bourlets, baise sympa sur fond musical entre une jeune et jolie fille de général et son gros garde du corps, puis entre celui-ci et sa femme. Tout ça, et le reste (le héros du film se pisse dessus en temps réel -attention, talent), sont autant d’audaces qui, si elles ne sont pas répertoriées jusqu’alors, ont pourtant un goût de ringardise absolue. Mais Reygadas vient de découvrir le mot transgression dans son dictionnaire, et il n’en revient pas de toutes ses déclinaisons.
Si l’on se force à prendre ça au sérieux, ce qui n’a rien d’obligatoire, difficile de ne pas voir dans quelle fange se roule notre ami. Derrière ses coups de force flashys, toujours piteusement pompés à droite à gauche, Reygadas tâte de la métaphysique au pifomètre. Bataille dans le ciel donne clairement dans l’épate-couillon en filmant les aventures d’un garde du corps qui couche avec la fille de son patron, la tue, et termine le film en se traînant à genoux, un sac sur la tête, devant Notre-Dame des Prétentieux. Parcours qui donne à réfléchir, attention, enjeu énormissimou. La poésie a-t-elle déserté le monde ? Dieu, qui est-il, d’où vient-il ? Quelqu’un a l’heure ? Il n’y a pourtant rien à tirer du film. C’est si vide, si creux, si bête et surtout, il n’y a pas un gramme de sincérité ou de fragilité là-dedans, c’est du travail de pro, du symbolisme à la truelle qui ne s’avoue pas. Film baudruche et cinéaste toc. Mais quand même ce beau plan du rétroviseur, qui montre que Reygadas, s’il n’avait pas choisi le terrorisme amateur, aurait peut-être fait un honorable réalisateur.