A chaque nouvelle fiction sur l’Holocauste, resurgit la rengaine lanzmannienne sur l’impossibilité de la représentation. Pas d’exception pour La Maison de Nina qui, bien que laissant les camps hors champs, se pose frontalement la question avec plus ou moins de bonheur. Mais bien lui en prend car le film ne prend corps que par une impuissance mêlée de pudeur à incarner cette leçon d’histoire. Chapitre d’ailleurs peu raconté, celui des maisons d’accueils d’enfants juifs cachés ou rescapés des camps qui s’ouvrent aux premières heures de la libération. Petit chef d’orchestre pragmatique campée par une Agnès Jaoui digne et investie, Nina les nourrit, les écoute, aménage la demeure en oasis de reconstruction. Deux espoirs se dessinent : le communisme et la religion.
Pour Richard Dembo, mort en plein montage, ça donne un grand organigramme de la souffrance, classé par pays, culture et statut familial. Deux sommets, un mini-rabbin duveteux légèrement intégriste et un charismatique chauve à casquette et cuir rouge un brin tyrannique, quelques sous strates qui piochent dans plusieurs catégories, et, pour finir, la victime fracassée par le trauma, qui n’enlèvera jamais son uniforme de l’enfer. Même les monos n’échappent pas au typage socio-historique : d’un côté le grand sensible charpenté, de l’autre la coco et Jaoui en cimentière du coeur et du cerveau, rôle récurent, mais que l’Histoire déleste de sa condescendance habituelle. Et c’est là toute la force du film : en rester au devoir de mémoire, au témoignage glacé, désinfecté de toute afféterie fictionnelle, qui restitue à l’anecdote sa légitimité la plus pure.
Oui, mais voila, la nature fictionnelle du film reprend ses droits, toujours tenté ou gagné malgré lui par l’émotion. On note une envie plus timide que digne de se frotter au pompiérisme, telle l’apparition people de Jonasz en Chagall ou les séquences oniriques de deux enfants obsédés par leur mère, entre pauvreté stylistique et cauchemar éveillé. Mais c’est encore et surtout la Shoah qui pose problème, trop lourd à assumer pour le film mais incontournable malgré tout. Dembo choisit un travelling serré sur l’arrivé d’un train rempli de rescapés. L’image est aussitôt commentée et c’est à nouveau une réalité à la fois froide et triviale qui reprend le dessus. Nina avoue qu’elle les imaginait plus décharnés et on lui explique que leur captivité date de six semaines, qu’ils ont eu le temps de retrouver forme humaine. Un peu avant, Agnès Jaoui découvre la Shoah via un film soviétique dont la caméra saisit les ombres sur le visage de l’actrice. Tout est là : difficulté de l’interprétation coincée entre professionnalisme et dignité. Le cinéma ne filtre pas toujours mais l’effort est louable.