Nouvel argument de vente pour les artisans vieillissants du cinéma populaire français : adapter les best-sellers des rentrées littéraires. Après La Classe de neige par Miller ou Stupeur et tremblements par Corneau, c’est Yves Angelo, chef-op de profession et cinéaste déficitaire à ses heures perdues (quatre films, quatre bides dont les retentissants Colonel Chabert et Le Voleur de vie) qui se colle au roman éponyme de Philippe Claudel. Lequel, en plus de son prix Renaudot 2003, a dû voir son potentiel commercial grandir, grâce au carton d’Un Long dimanche de fiançailles, son cousin (germain) : toile de fond 14/18 sous-tendue par une énigme à la Sherlock Holmes, sinistrose sociale et autres gueules cassées. L’ambition artistique reste néanmoins différente : là où Jeunet, sans complexes, affinait les rouages incertains du blockbuster à la française, Angelo la joue plutôt auteur classique, ravivant les flammes d’un cinéma de papa tout en l’étouffant d’austérité poseuse. Par incompétence ou par complaisance, on ne sait pas vraiment.
Toujours est-il que cette schizophrénie infuse le récit dès les premiers plans : mise en place digne des Cinq dernières minutes, élégance du cadre en option. Le juge d’instruction Villeret, genre Raymond Souplex méchant, bouffe un oeuf devant le cadavre de Belle de Jour (attention clin d’oeil), gentille fillette du village mystérieusement étranglée près du canal où vit le procureur Marielle, autre vétéran à partager l’affiche. Leurs personnages se détestent, prétextes à de grands face-à-face à l’ancienne, dont Angelo est prêt à se délecter. Mais il préfère contre toute attente déconstruire l’enquête privilégiant une étude de moeurs vaguement romantique, où le hors champs de la guerre tient lieu de pivot mortifère. Plusieurs destins s’entremêlent : un flic vit mal sa démobilisation ; muré dans un douloureux deuil, Marielle reprend goût à la vie en espionnant une jeune institutrice qui s’est installée devant chez lui, laquelle entretient une correspondance enflammée avec son homme parti au front.
Rien de nouveau à déclarer question douleur, mais le film s’entête à privilégier coûte que coûte ce récit balisé, très fier même de sa tenue bourgeoise, atteignant, c’est vrai, une certaine élégance amidonnée pas foncièrement désagréable. Le problème vient d’avantage du polar, mal encastré dans ce musée de cire, de nature beaucoup trop nerveuse pour que la mise en scène ne laisse voir sa grammaire rachitique. Car non seulement Angelo laisse de marbre alors qu’il cherche au contraire l’effroi et l’intensité (le cabotinage des acteurs, tous en roue libre, est un petit sommet, le découpage nullissime, en faux climax leonien), mais il devient vite exaspérant par sa propension à s’en enorgueillir quand même, arrogant et refoulé jusqu’au dernier plan. On peut même parler de blocage, symptôme bien connu de ce cinéma français qui, même en pleine tourmente identitaire, ne l’admettra jamais.