Arrivée avec Night watch d’un cinéma dont on connaît peu les rouages : une forme surboostée du film de genre russe à mi-chemin entre la grosse série Z et le blockbuster dégoulinant de moyens. Le récit est sans la moindre finesse, incroyable feuilleté de traces et de bribes de formes narratives éculées, piochant à tous les râteliers, de l’ouverture évoquant Le Seigneur des anneaux au délire spatio-temporel SF en passant par le polar mafieux ou la fable ésotérique. La surprise ? C’est que tout cela prend une forme relativement digeste, que l’ensemble dépote à la moindre occasion et que la réalisation est d’une redoutable efficacité. Pas le Pérou, mais une leçon d’américano-morphisme à faire pâlir n’importe quel faiseur de par chez nous.
Il suffit d’une scène (la moindre poursuite, par exemple) pour saisir la principale qualité du film : pas simplement la roublardise, plutôt une fougue artisanale et un souffle cinétique assez impressionnants. Le découpage et les mouvements d’appareil, soumis à la pure performance des effets (et ils sont nombreux, souvent très beaux malgré un côté cheap), témoignent d’un sens de la mise en scène rodé, huilé par le terrain et totalement décomplexé. Il faut évidemment éviter d’approfondir cette impression, l’intrigue et ses multiples niveaux étant d’une rare indigence cryptique, sorte de combat fumeux entre le Bien et le Mal prenant mille formes pour toujours en revenir aux bases du film d’action primaire. Mais l’essentiel est là : qu’on suive l’intrigue en gros nerd régressif ou qu’on s’en contrefiche, le rythme et la musicalité -disons une approche impressionniste et fragmentée de la notion de genre- suffisent amplement à emporter le morceau.
Reste enfin l’aspect exotique du film, qui se déroule dans un Moscou comme on a uniquement pu le voir dans certains films world misérabilistes. Certes futurisé et customisé, le cadre joue d’un réalisme confinant à l’étrangeté en n’hésitant pas à caler au milieu de grosses séquences d’action ou de pyrotechnie des scènes très intimistes en appartement : repas et réunions de famille devant la télé miteuse et sur fond de papiers peints décrépis. Pas un effet d’embellissement alors, le cinéaste filmant une forme de quotidienneté grisâtre avec la même lucidité que ses séquences les plus délirantes. Cette forme dégénérée de réalisme social donne à Night watch son aspect le plus touchant, quelque chose que l’on trouverait en France chez un Mocky par exemple, surtout pas chez les tenants d’un néo-film de genre aseptisé et titubant de son désir d’ailleurs. Apprendre à filmer son palier d’immeuble avec le même aplomb que les visions les plus fantastiques, ancrer la fantaisie dans une réalité locale jamais vue comme honteuse, voilà peut-être la leçon que Night watch donnera à nos apprentis cinéastes de genre.