De Sophie Fillières, on n’a pas oublié Aïe, prodigieuse fantaisie qui semblait annoncer, il y a maintenant quelques années, la naissance d’une cinéaste précieuse. C’est pour cela que Gentille déçoit énormément : pas tant pour sa facture honnête, reposant sur les quelques effets burlesques répétés à l’envi, plutôt par sa manière de s’y voir déjà, entre fausse humilité d’élève appliquée et singularité trop signée. Plus la moindre fraîcheur désormais : l’intrigue est une sorte de resucée mammouthesque du film précédent (programme identique : une femme plus ou moins alien (Emmanuelle Devos) dans un monde sans queue ni tête), réalisation sobre et desséchée, régence du bon mot enlevé et snobisme qui de la fable petite-bourgeoise semble désormais rêver à plus haut et plus fort, draguant de manière hyper assumée la haute société du cinéma français.
Tout ce qui faisait la magie de Aïe en prend un sacré coup : Emmanuelle Devos a beau rejouer le même conflit burlesque (femme fatale / objet d’embrouilles qui échappe à toute logique), elle ne parvient pas à la cheville d’Hélène Fillières dans ce registre, la faute à une présence devenue trop familière, trop évidente dans la catégorie du vilain canard se rêvant star de cinéma -ou de la beauté menaçant à chaque instant de se défaire, selon les cas. Ce double-jeu, qui est aussi le problème du film dans son ensemble, décharge la force de trouble poétique et de décalage de la mise en scène pour l’élever au rang de dispositif maigrelet et fier de lui. La féminité naturelle du cinéma de Sophie Fillières passe donc de la beauté fofolle et troublante sous son apparente froideur (Aïe) à son envers symétrique : snobisme et calcul, fausse ingénuité et décrépitude générale de la fantaisie parisianiste.
La mise en scène s’en trouve raidie, les bons mots carbonisés, les gags affaiblis par la mécanique poussive qui les sous-tend. Les retournés acrobatiques du scénario, le jeu de doubles et de simulacres qui s’installe pour faire vaciller la réalité de l’héroïne et de ses proches s’essouffle jusqu’à n’avoir plus que son intelligence et la conscience de sa supériorité (bien réelle dans le domaine des dialogues et plus généralement de l’oralité) comme parades et cache-misère de l’entreprise. Ne reste qu’un enchaînement-domino de saynètes incapables de s’échauffer pour fusionner et crépiter en fiction libérée. Etrange comme le film est à rapprocher sur ce point du Coût de la vie de Philippe Le Guay, autre cinéaste venu d’ailleurs qui chercha en un film à rejoindre la cour des grand : même refuge dans le dispositif raide, même principe de la saynète qui fait plouf, même incapacité à reverser sa belle singularité dans une structure officielle paralysante. On se rassurera en imaginant que rien n’est perdu -mais que tout est à refaire.