Birdman est un drôle de label défiant toutes catégories, avec en rayon pas mal d’illuminés psychédéliques certifiés (Tom Recchion, Electric Prunes, Boredoms…), de la musique traditionnelle de première classe (Nusrat Fateh Ali Khan), des denrées rares (la B.O. des films de HG Lewis) et un bon lot de combos américains bizarroïdes sortis du cul du loup, comme ces Apes qu’on aurait aimé aimer.
« Black Sabbath Not Dead ! ». C’est ce qu’on serait tenté de s’exclamer lorsque Baba’s mountain fait retentir ses premiers accords de metal lourd, tellement lourd qu’il recouvre les tympans d’une chape de plomb avant même de les avoir fait vibrer. Et c’est parti pour cinquante minutes interminables : riffs boursouflés (The Night-time reaper), dégoulinades d’orgue (Organ syrup), voix de tête, flanger et reverb à gogo… Hormis les indestructibles Melvins, Sunn ))) O ou Boris, qui ont reculé avec génie les limites du stoner-rock, peu de groupes sont parvenus à la cheville d’Ozzy, le grand manitou lobotomisé, sans tomber dans la caricature. Apes ne déroge pas à la règle. A vue de nez, ces simiens vêtus à la mode patchwork ont l’air d’avoir passé les vingt dernières années au fin fond d’une grotte texane avec pour seuls compagnons une plantation de peyotl et un jukebox bloqué sur les pires heures du hard rock progressif aux effluves patchouli-Budweiser (sans dec, y a-t-il encore quelqu’un de moins de 30 ans pour tripper sur Deep Purple et Grateful Dead ?). Constitué de quatre mammifères moitié mâles-moitié femelles ayant sans doute passés le plus clair de leur jeunesse mortifiés par l’ennui à fumer le calumet de la paix en écoutant la collec de 33 tours de leurs géniteurs et du punk west coast, Apes pratique un rock rétro-pataud pas franchement bandant, même au trente-troisième degré. A moins que tout ce cirque ne soit qu’un canular haut en couleurs (des art-school kids déguisés en freaks ? Hypothèse plausible, et après ?) Bref, sans vouloir paraître péremptoire, on peut affirmer qu’un tel disque n’a guère de pertinence à l’heure actuelle et, quand bien même le vent de la hype tournerait, ne risque pas d’en avoir davantage dans un futur éloigné. A plusieurs reprises, on jurerait même entendre Spinal Tap (No one can eat U, Who’s left alive…), en plus mollasson. Il ne manque plus pour parfaire l’effet que quelques trolls gesticulant autour d’une maquette miniature de Stonehenge. A moins d’être le plus revivaliste des revivalistes, on ne voit pas trop où pourrait atterrir de nos jours cette soucoupe volante qui carbure au diesel. Sorry les gars, vos buvards ont dépassé la date de péremption…
Pour l’ascension de la Montagne Sacrée, on se laissera plutôt acheminer par le vétéran Foetus, de son vrai nom JG Thirlwell, qui mérite tout de même davantage d’attention, même si l’histoire retiendra sans doute l’ampleur de ses frasques aux plus belles heures de la no-wave. Love vient clore en grandes pompes un cycle entamé en 1995, somme musicale qui touille tous les ingrédients qui ont fait sa renommée : des arrangements flamboyants dignes d’un big band philharmonique (clavecin, violons, tambours, bassons, harpe…) des vociférations nasillardes et de puissants effets électroniques. Fœtus nous plonge de plein pied dans son univers de crooner post-indus via des compositions truffées de chausse-trappes qui usent et abusent des ressorts cinématographiques (on songe à Ennio Morricone et au thème de Rosemary’s Baby sur Mon agonie douce, à John Barry sur Don’t want me anymore, à Danny Elfman sur Pareidolia, à John Carpenter sur Thrush…). Seules les guitares acérées ont pris congés, pointant juste leur nez sur la dernière ligne droite (How to vibrate ?). Reste que le filon a largement été exploité dans les années 90 par le mainstream (Nine Inch Nails et Marylin Manson en tête) et que la couleuvre est un peu plus dure à avaler aujourd’hui. L’emphase symphonique bardée d’une horrible voix de ventriloque (à l’exception de Thrush, en duo avec la chanteuse d’Elysian Fields), ça finit par saouler à la longue… Disons que ces dix morceaux sont aussi durs à s’envoyer d’une traite qu’une tournée de vodka offerte par les Choeurs de l’Armée Rouge. Mais en dépit de cette propension au débordement baroque (Foetus, ça rime avec hiatus), on ne peut que s’incliner devant une telle ténacité. Après avoir trempé dans tout ce que la contre-culture a généré de plus excitant depuis les années 80 (on lui doit tout de même des collaborations avec Soft Cell, Coil, Lydia Lunch, Richard Kern…), le vieux briscard a gardé une santé de fer. « Sonic majesty, chaos, violence, love and beauty » : de nobles valeurs que l’imprécateur shooté aux stéroïdes ne se lasse pas de prôner au volant d’une carlingue chromée derrière laquelle l’herbe a pourtant bien repoussé. Coriace, le bougre.