Dans le déjà train-train des sorties en salles des vieux classiques Shaw Brother, La Main de fer advient comme une bulle d’air. Non seulement le film apparaît aujourd’hui sans discussion possible comme le meilleur du genre toutes époques confondues, mais il permet surtout de remettre les pendules à l’heure concernant le surestimé Chang Cheh. De ce dernier ressortait en effet il y a quelques mois La Rage du tigre, considéré comme le chef-d’oeuvre absolu de la période. Hors toute nostalgie et effet d’anoblissement rétrospectif, pas de doute pourtant qu’en termes de réalisation, un Chung Chang-wha (nom chinois : Cheng Chang-Ho), auteur coréen de cette Main de fer, vaut au moins quinze Chang Cheh en brochette.
Le film n’a pas pris une ride et repose sur des effets de sidération totalement compulsifs : pas une seconde sans que la tension ne se resserre, pas une scène qui n’amorce la suivante en un perpétuel gonflement des enjeux de l’intrigue et de la fiction. L’originalité du film tient évidemment moins à son script (compilation des figures traditionnelles du genre dans un dispositif d’initiation et de vengeance sur fond d’injustice sociale) qu’à de purs principes de mise en scène. Chung Chang-wha , baroudeur du cinéma populaire coréen appelé à la rescousse des frères Shaw à Hongkong, est un spécialiste de la sécheresse et de la cruauté : pas un gramme de graisse dans ses films, que du maigre et du vif. Ainsi, dans La Main de fer, de cette idée géniale de passer des câbles au trempoline pour les scènes de combat : petite révolution formelle qui densifie et verticalise l’action au détriment de toute suspension poétique. Ainsi, encore, de cette mixture du genre avec la SF dans le recours au pouvoir de » la main de fer « , effet spécial rudimentaire (la main rougit, fluorescente, en plein combat) qui prend la valeur de symptôme hyperréaliste plus que de petite fantaisie : saisissant raccourci vers le cœur et les entrailles de l’action, exténuation de toute limite dans l’affrontement primaire à mains nues.
Profondément coréen dans son rapport à la douleur et dans son refus de toute fascination, La Main de fer constitue un remède à l’académisme de La Rage du tigre : s’y efface la limite entre action et psychologie, vieille casserole du genre (les champs contrechamps des scènes de dialogues interminables chez Chang Cheh), au profit d’une sorte de boule de nerfs et de flammes en continuelle fusion. Dans La Main de fer, tout dilemme ou nœud dramatique se résout par l’action et le geste : Chung Chang-wha est un cracheur de feu, chacun de ses plans matérialisant une sorte de rage interne inouïe. Plus de frontière entre forme et fond, le manuel (idéologique et sportif) et son actualisation : le film est un grand tout rayonnant, à l’image du poing fermé rougissant. Le genre ici se suffit à lui-même, intouchable et replié sur lui-même. Fermeture ? Ouverture plutôt à sa définition idéale : un monde entier à explorer, fractale de réactions et de comportements régis par un réalisme de pur transfert. Plus qu’une leçon de mise en scène : une correction.