Alors que le quatrième épisode de la saga de Romero se profile, voici le décalque parodique de film de zombie le plus pertinent qu’on puisse rêver. Ça n’a cependant rien d’un scoop, tant Shaun of the dead, bizarrement ignoré des distributeurs français jusqu’à ce jour, fait depuis un an l’objet d’un culte délirant en Grande-Bretagne. Même Romero en personne, impressionné par le film, a retourné l’hommage en invitant ses créateurs britanniques à apparaître en caméos zombifiés dans son Land of the dead. Oeuvre collective, écrite à quatre mains par le réalisateur et l’acteur principal, et interprété par une petite troupe de comédiens issus de la même sitcom -déjà signée Wright / Pegg-, le film profite à fond de son coté affaire de famille. Absolument tout, de la nature même du genre qu’est la parodie à l’intimité d’un quartier, d’un pub et de la colocation, relève d’une complicité à clins d’oeil démultipliés.
Première demi-heure. Plaqué par sa copine à cause de l’omniprésence parasitaire de son meilleur ami, Shaun, jeune trentenaire un peu paumé finit sa triste journée de vendeur Darty à se saouler dans son pub fétiche. Tout cela sans remarquer la mutation étrange des habitants du quartier qui, de l’épicier au SDF, se sont tous changés en morts-vivants. Outre la satire -mordante- d’une certaine masculinité urbaine, plongé hilarante dans la régression télévisuelle et l’aliénation du confort ménager (le salon squatté par l’ami de Shaun, foutoir testiculaire encombré de cadavres de bière et de joypad PlayStation), c’est surtout la fluidité de la mise en scène, toujours sur le fil du comique pur et du climax angoissant, qui impressionne. En une série de tours de forces -dont un génial plan séquence qui voit Shaun, mal réveillé, partir au travail, Edgar Wright expose pour mieux exploser un peu plus tard. Maîtrise sidérante qui tire profit de la moindre aspérité d’un personnage ou du décor. La grisaille britannique, les résidences de briques et le train train quotidien renforcent naturellement le cauchemar occidental imaginé par Romero et jamais le comique pourtant saupoudré tout du long, n’affaiblit la densité du chaos.
Le film continue ainsi à s’amplifier, partant du quartier de Shaun pour un quadrillage ludique de la ville, où les deux compères rejoignent l’ex fiancée avant une visite express chez les parents. Première mutation aussi où la satire cartoonesque cède le pas sur le jeu vidéo, entre bataille de rue et shoot’em-up. Edgar Wright appuie plus fort sur la pédale parodie, s’inscrivant délibérément dans la droite lignée d’un Joe Dante ou d’un Alex de La Iglesia. Même plaisir de tout saccager (les coups de batte de criquets ou la virée sanglante dans la Jaguar du beau-père, catharsis garantie) même accélération orgasmique du rythme qui mêle vitesse d’exécution et débordements du cadre. Même virtuosité, enfin, dans l’action : jamais le film ne cède au n’importe quoi, toujours rigoureux formellement. Le film « farpait » jusqu’au dernier quart d’heure, qui voit la petite bande trouvant refuge dans le pub préféré de Shaun. Coincé par le huit clos, la mise en scène calle, piétine dans une ironie d’honnête sitcom. Il n’empêche, ce trébuchement scénaristique ne saurait effacer la maestria absolue d’une des comédies les plus percutantes de l’année.