« C’est à la suite de ma participation à l’enregistrement de l’album d’Henri Salvador, Chambre avec vue, fortement inspiré par la musique bossa nova, que j’ai décidé de m’engager dans un projet intimiste autour du Brésil », raconte Eric Le Lann ; « j’ai naturellement choisi Antonio Carlos Jobim car il incarne à mon sens, mieux que personne, l’art de la mélodie ». Jobim en toute intimité : c’est le parti qu’a pris le trompettiste français pour cette exploration du répertoire de l’immense compositeur brésilien en compagnie du guitariste Jean-Marie Ecay, en privilégiant, plutôt que les standards admirables mais rebattus qu’on connaît généralement (quoiqu’on puisse toujours en tirer des pépites, comme l’a montré Joe Henderson voici quelques années autour de Felicidade, Triste ou Dreamer), des compositions plus rarement entendues (« plus belles encore », confesse Le Lann, sans se priver toutefois d’aller voir du côté de Desafinado ou de Corcovado). La trompette a une sourdine, la guitare est acoustique et peu bavarde : l’interprétation est absolument dépouillée, sans aucune fioriture inutile ni coquetterie instrumentale, de sorte que les morceaux coulent paisiblement dans une atmosphère de parfaite sobriété. Le premier réflexe de l’auditeur habitué aux couleurs qu’inspire généralement la musique de Jobim est de s’étonner de l’aridité de ces reprises aux murs nus, comme si une main castratrice avait enlevé les peintures et les meubles attendus (impression d’autant plus forte que l’enregistrement est presque « brut », sans réverbération artificielle, au plus prêt du pavillon et des cordes) ; réticence rapidement vaincue par la splendeur du phrasé clair et limpide de Le Lann et du jeu tout en arpèges délicats de Ecay, moins froids qu’il n’y paraît l’un comme l’autre. Il faut certes tendre l’oreille pour percevoir toute la beauté de la chose, privé qu’on est des charmes sucrés des arrangements pour orchestre, mais l’effort en vaut la peine : une fois immergé dans l’ambiance monacale mais chaleureuse de ce Play Jobim tout de simplicité, on touche pour ainsi dire au coeur de ces mélodies savantes et mélancoliques qui, ainsi mises à nu, révèlent des charmes qu’on ne leur imaginait pas forcément.
Eric Le Lann & Jean-Marie Ecay – Play Jobim
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