Mike G, Afrika Baby Bam et Dj Sammy B comptent parmi les pionniers du collectif Native Tongues, une tribu éduquée par Afrikaa Bambaata vers la fin des années 80. Ils ont notamment assisté leurs mentor pour la concoction du mythique Return to planet rock (the second coming) en 1990. Dans la foulée, les frères de la jungle ont carrelé la route des 90’s de leur hip-hop suave, tantôt acidulé au jazz, tantôt brassé aux percussions africaines ou à la techno hybride, puis replongé ensuite dans un bain de breaks permanents. Leur art s’est élevé haut, sans toutefois atteindre souvent les charts, mais il a tout de même aidé toute une génération à s’unir, comme en attestent les parcours de leurs cousins Q-Tip, Black Sheep, Digable Planets, Brand Nubian, Leaders Of The New School ou encore KMD. La double galette This is jungle brothers n’est pas ravitaillée en nouveautés. D’un côté, un généreux best of (aucune trace de J. beez with the remedy, dommage…) et de l’autre des remixes et quelques raretés. Les nostalgiques du boombap insouciant y trouveront leur compte. Ce best-of bancal s’adresse en effet en premier lieu à ceux qui piochent délibérément leurs oreilles dans un rap nonchalant, celui qui sourit des perles inoubliables (Black woman, Black is black, Brain…) sans se soucier des pendentifs luxurieux et autres bridges de platine. De fait, les Jbs préfèrent les scratches bien gras, le retour aux sources et l’imagination un brin politicarde. Malgré la laideur de la quasi-totalité des remixes proposés en bonus (Stereo Mc’s, The Wiseguys, Urban Takeover, Natural Born Chillers…), on savoure tout de même la science des Jbs, ce qu’illustre parfaitement leur zircon Straight out the jungle, hymne rapologique inspiré qui samplait déjà la source (Grand Master Flash & The Furious Five…). Mais là où les Jbs surprennent le plus, c’est lorsqu’il donne dans le tube. A l’instar de la potion hybride titrée I’ll house you, alliance étonnante avec le producteur house Todd Terry qui carillonna en 1988 un déluge en forme d’hymne avant-gardiste, par ailleurs déclencheur d’un mouvement nommé un temps hip–house. Les Jbs ont des bagages bien chargés.
C’est également le cas de Dj Revolution, à la nuance près que ce dernier évolue dans des sphères vinylistiques. Le succès de sa dernière galette en date (Class of 85′, sortie l’année dernière) semble l’avoir pousser à continuer ses mixtapes old-school. Platiniste rapologique débarquant tout azimut de la côte Ouest des Etats-Unis, Revolution a cependant charmé bien avant cela les passionnés de 12′ inch avec ses tartes antérieures. On peut notamment citer son opus In 12′ we trust (featuring Roc Raida, The Beat Junkies, Craze…) ou encore son fameux R2K v1.0. Le visage pâle a en effet déjà emberlificoté ses routines de beat-jugglings avec les phonèmes de Chino XL, Buc Fifty, Big L, Royce Tha 5’9 ou encore Lootpack, groupe-totem de Madlib. Mais Rev s’est surtout fait remarqué en 96. Bien avant cette distribution de gâteaux à haute teneur en scratches, il s’est décongelé en beauté lorsqu’il a intégré l’équipée Sway & King Tech pour leur fameuse émission The Wake up show, diffusée à l’époque sur Power 106 FM -Los Angeles. Il a ainsi bénéficié d’une plate-forme de 15 millions d’auditeurs (sur plusieurs années, le show ayant connu un succès énorme) pour continuer à abreuver les oreillettes des b-boys de sa patte inimitable. On ne compte désormais donc plus ses concoctions plaquées sur CDs de rue. Les vieux loups se souviennent probablement du monstrueux This or that, album parachuté par Sway & King Tech en 1999 sur Interscope Records. Forts de leurs réputations de streetdiggers, Sway & Tech avaient réussit l’exploit de réunir sur un même titre (The Anthem) les sieurs RZA, KRS-One, Xzibit, Chino XL, Pharoahe Monch, Kool G Rap, Tech N9NE, Jayo Felony ou encore un certain Eminem. A leurs côtés, Dj Revolution (crédité aux scratches sur tous les titres) se faisait un malin plaisir de retourner les vocalises de ses compères, à savoir Canibus (Can remix), Inspectah Deck & Gangstarr (Above the clouds), Main Source (Looking at the front door), EPMD, Big Daddy Kane, Redman, Kool Keith, Chill Rob G, etc. Avec ce type de CV, Dj Revolution n’a pas de portes à enfoncer, de choses à prouver. Malgré le succès et la reconnaissance, il continue d’abreuver les amateurs de rap à coups de mixtapes coulées avec brio…
Façonné à coups de crossfader bloqué, de breakbeats accélérés, de TR-808 qui lovent des beat-box serpentines, de classiques qui sonnent toujours aussi larges, son Class of 86 frôle la perfection. Pour plusieurs raisons. Primo, ce blanc-bec sait choisir ses disques, possède le feu pour les unir avec passion, tout en appliquant sa science old-school du deejaying sur les différentes variations vocales que propose la kyrielle d’invités. Au menu, on ingurgite les projectiles de cette fameuse année 86, avec Run DMC en première ligne (Peter Piper, My Adidas), Eric B & Rakim en mode char d’assault (Eric B is president, I know U got soul) ou encore le hustler Ice-T en embuscade (Six in the mornin’). Bien évidemment, Rev étale la science imparable des sous-estimés Ultramagnetic Mc’s (l’ogive nucléaire Ego trippin, issu de l’indétournable Critical beatdown…), la verve magique des poids lourds (South Bronx de BDP, Funky beat de Whodini, Payback a mutha de King Tee…), mais aussi un aguichant cocktail de Salt & Pepa (My mics sounds nice). Exécutant des allers-retours entre L.A et New York, Revolution n’oublie pas de faire un clin d’oeil aux blanchettes surdouées (Hold it now, hit it et Paul Severe des Beastie Boys…), tout en continuant à cas(s)er du breakbeat avec ses doigts de velours. Avec ce disque bondé à craquer (38 morceaux), Rev réussit non seulement ses enchaînements chevronnés, mais il installe aussi en beauté des ornements classiques (productions made in Marley Marl ou Rick Rubin, apparitions surréalistes de Heavy D, retournements verbaux de Kool Moe Dee) forgés au temps où les infrabasses bâtardes s’attachaient naturellement aux cordes vocales des rappeurs. Comme pour rajouter une bonne louche de sa science « old-school », il déplace sans cesse ses scratches mutants, ses routines mutines, perturbant délicatement les rythmiques nerveuses de cette superbe promotion 1986. Une réussite, qui se termine sur un énième classique du duo Eric B & Rakim : Check out my melody.