Combien d’étés sans Jackie Chan ? Revenu de tout, de la crise du cinéma de Hongkong à la récente paupérisation de la mode asiatique à Hollywood, le petit dragon est toujours là, rivé à sa condition de Jackie Chan, même coiffure court devant-long derrière, répétant inlassablement ses cascades à s’en faire péter les cartilages. New police story sent pourtant le sapin : retour au pays, entre deux Rush hour, et constat amer. Non, Jackie Chan n’est pas Dorian Gray et sa jovialité élastique ne saurait masquer un visage de plus en plus flétri. Il n’empêche que le poids des ans n’a pas encore grippé la formule magique. Il suffit de quelques ajustements pour que les années 2000 redeviennent les années 80.
Ça commence presque comme du Wong Kar-wai. Gros plan sur le visage de l’acteur, merveilleusement plissé, éclairé par une lumière superbe. Ambiance piano-bar, beauté des alcools. Jackie Chan picole comme un flic brisé. Non, comme un Jackie Chan brisé : dès que son corps prend la caméra de plain-pied, il évolue dans une pantomime émouvante de mec bourré. On a beau rire, cette composition brinquebalante sonne comme une mini-révolution. Chan assume à la fois sa cinquantaine naissante et son jeu dramatique mal dégrossi, celui qu’il devra faire sien quand le kung-fu lui sera impossible. Plus film de genre, la suite le confronte à une tripotée de marmots, du co-équipier vedette (Nicholas Tse vu dans Time and tide et pendant cantonnais d’Owen Wilson) aux bad guys, gosses de riches dégénérés férus de jeux vidéos et de sports extrêmes, incarnations grossières mais jouissives des années techno. Face à cet inquiètant défilement du temps, Chan joue l’autodérision, en fait de l’auto flagellation à l’état pur. Il faut le voir se rouler dans son vomi ou pleurer comme une épave, s’adonner à un cabotinage obligé, tel un rite punitif. Soigner le mal par le mal, le traitement est cruel et, vu l’enjeu, sacrément naïf.
Mais la star est ainsi, toujours ahurie, éternel homme-enfant et maître d’une principauté du genre aux règles simples. La structure même du film, trois petits blocs qui se tiennent la main, sorte de squelette de jeu Atari, renforce cette impression. 1. La déprime sèche. Chan constate son propre délabrement. 2. L’humiliation pure et simple. Un flash-back explicatif qui voit le cinéma de l’acteur se dissoudre dans un labyrinthe techno. Pas un seul objet ménager à saisir, pas une étincelle d’humour à faire flamber. La jeunesse l’humilie à mort, le dépasse sur tous les niveaux, même en kung-fu. 3. La renaissance au contact d’un fan devenu grand, à la manière d’une Chantal Goya reprenant ses standards dans les boites de nuit pour trentenaires hilares. Direction la régression enchantée et jubilatoire, transformation Super Mario. Les cascades retrouvent leur place, les accessoires cocasses réapparaissent comme par enchantement avec en bouquet final, une bataille de Lego géants et une piscine à boules. Toujours alerte, Jackie Chan fait du rappel avec ses menottes le long d’un gratte ciel, efface purement et simplement l’alcoolisme de son personnage. La machine avance toute seule, se permettant les plus grandes bouffonneries de scénario. Avec une séquence anthologique : Chan emprisonné voit son geôlier faire tomber son trousseau à ses pieds. Pour la reconversion, on verra l’été prochain, mais pour l’instant le lifting ne lâche pas.