C’est un épiphénomène : Casino royale, 22e épisode officiel de la saga James Bond retourne aux origines du mythe. On poursuit donc par le commencement, truc actuel de studio pour relancer des franchises fatiguées de Star wars à Batman begins, mais surtout rengaine habituelle chez Bond (Au service secret de sa majesté et Meurs un autre jour, par exemple). Bond acquiert son statut de tueur (le fameux 00) en zigouillant deux agents doubles des services secrets britanniques dans un building glacé de Prague. Puis il poursuit son initiation aux quatre coins du monde : tout faire péter à lui tout seul, sauver le monde, séduire de ravissantes créatures et apprendre à s’endurcir, avant de clore le métrage par ce qui ouvrira toutes ses aventures : « My name is Bond, James Bond ». Marquer le coup, créer la rupture comme dirait l’autre : Pierce Brosnan doit mourir sous les sifflets (de ceux-là même qui l’applaudissaient à tout rompre à chacune de ses aventures), vive Daniel Craig, dont l’engagement polémique pour cause de blondeur est immédiatement oublié.
C’est vrai qu’il assure, Daniel Craig. Mine renfrognée, corps-granit, il impose au personnage une virilité brutale, primitive, qui sied parfaitement aux intentions déniaiseuses du film. Craig porte en lui une mélancolie refoulée, une classe d’aventurier à la Nick Nolte, au fond plus américaine que britannique. Voilà ce qui fait la force Casino Royale : se contenter d’insuffler une vigueur nouvelle à une partition dont on oublie sciemment quelques notes (exit les gadgets). Le choix de Martin Campbell va dans ce sens. Ce John MacTiernan de poche, déjà signataire de la renaissance du mythe il y a dix ans (Goldeneye), dégraisse comme il peut. On peut lui attribuer les morceaux de bravoure, plus chaloupées et plus souples que d’ordinaire. La comparaison avec un Roger Spotiswoode ou un John Glen saute aux yeux. Le storyboard s’anime, porté par une grammaire de l’action digérée, notamment au cours d’une ouverture aérienne et haletante à Madagascar, l’une des meilleures jamais tournées.
Reste l’introspection du mythe, que le film déploie via une étude de caractère. On y voit Bond succomber à l’amour, avant de se claquemurer dans la dérive machiste qui fera sa légende. D’un coup, le film bafouille, hésite entre la distance et la plongée intimiste, traîne en longueur en de longs plans creux et bizarrement sérieux (les scènes de poker, raplapla en diable). Martin Campbell ne sait plus faire. Sa grâce de bon faiseur s’efface devant la lourdeur et la rigidité de l’univers bondien, conçu pour le cinéma mais pas pour l’excellence. 007, c’est un peu comme l’URSS après la chute du mur de Berlin : à la moindre fêlure, c’est l’éclatement en bonne et due forme. Nul n’y peut rien : la psychologie de Bond sera toujours de comptoir, tant il reste un fantasme sur pattes, un produit pop, kitsch naturellement ironique -les Brosnan-films jouaient à fond cette carte du défaitisme superficiel. Lui donner corps et sensibilité d’espion sérieux, c’est le plomber de clichés. Telle est l’ambivalence de la saga : la reproduire à l’identique c’est la lénifier, la détourner c’est la trahir.