Toujours jouissive, la « caillera comédie », devenue en un rien de temps un sous genre incontournable de l’humour franchouillard. Que l’ignoble Djamel Bensalah (Le Ciel, les oiseaux et ta mère, Le Raid) soit l’homme a en avoir tracé les premiers contours est finalement une bonne nouvelle. Car derrière la nullité du style ou l’écoeurante agressivité des dialogues, on voit d’autant plus le potentiel du lascar à faire le clown, entre démarche syncopée, verbe fleuri ou garde robe ample et colorée. Un clown donc mais moderne, qui relègue Clavier au mouroir des comiques, et rebooste même Marivaux dans L’Esquive. Restait donc à confronter ces nouveaux venus au sommet de la ringardise, les paysans, has been de l’humour depuis Paul Presbois et vaguement singés à la télé. Ce que propose ce Camping à la ferme, fable attendue sur les préjugées mais sympathique voyage dans le cinéma d’en bas.
Amar (Roschy Zem) emmène des jeunes banlieusards effectuer leurs travaux d’intérêt général dans un village bouseux qui fleure bon le camembert lepeniste et la sinistrose agricole commune. Dans le mini-bus de l’éducateur, ils sont tous là, parfois même en double : black, blanc, beur, voleur de merco, dealer flambeur, propriétaire de pittbull ou futur martyr d’Al Quaida. A ces archétypes urbains, le réalisateur Jean-Pierre Sinapi accole les doubles symétrique ruraux : vieux, moches, agressifs, bouffés par l’alcool et la solitude des campagnes. L’humour vient autant du plaisir à caricaturer qu’à faire se télescoper rats des villes et des champs. C’est en tout cas le meilleur du film qui fouille efficacement ce dispositif inusable par une série de saynètes hilarantes, plus libéré que jamais de discours citoyen rasant. Ça passe de la vignette toute simple, où le boucher franchouillard sursaute au son gangsta rap de son autoradio trafiqué, à des scènes régressives dignes des blagues à Toto, où deux racailles initient le deschien Brunot Lochet aux joies curatives du cannabis. Le point d’orgue reste tout de même l’appel à la prière de l’intégriste du haut du clocher du village, où Sinapi renvoie chaque clan à sa bêtise communautariste dans un panoramique fabuleux.
Car il y a un plaisir évident à ensevelir de clichés chaque personnage, à les démultiplier comme autant de santons dégénérés (le remplissage du mini-bus à l’ouverture du film), entre tendresse et pure méchanceté. La femme maire du village, qui ne voit dans les travaux d’intérêt général qu’une récompense médiatique de seconde zone, résume un peu tout : jeu pantomimique, accessoires chargés (le tailleur rose pâle), références à une réalité triviale de fan décérébré (les portraits de Sarkozy ou Strauss-Kahn dans la mairie) digne des meilleurs Poelvoorde. Dommage que Sinapi revienne platement à quelques intermèdes moralistes indigestes qui grippent la mécanique du film. Soit les clichés s’y cassent en s’adoucissant (l’homosexualité révélée d’un des jeunes, moment vraiment lourdingue), soit l’humanisme bêlant déboule au galop : le paysan raciste se fait moucher par le gentil arabe pacifiste qui lui file un magot, un simplet heureux en saut à l’élastique dans une scène prétexte à dérouler de la poésie fastoche sur le lyrisme des handicapés mentaux. Mais ne boudons pas notre plaisir, Camping à la ferme reste malgré cela un petit joyau d’humour rase motte, concocté avec amour et savoir faire.