David (Tobey Maguire), ado mal dans sa peau, ne se passionne que pour une seule chose : Pleasantville, un feuilleton des années cinquante. Une télécommande magique, « zappez-moi », et ne voilà-t-il pas qu’il effectue sa traversée du miroir cathodique, pour se retrouver, avec sa sœur Jennifer (Reese Witherspoon), dans sa série favorite. Dans la petite communauté télévisée basée sur le simulacre, où tout n’est que répétition et perfection, l’arrivée d’êtres réels ne peut être que perturbatrice. Ainsi les personnages, qui n’existaient qu’à travers les actes accomplis à l’écran, découvrent peu à peu « les choses de la vie », tel que la pluie, l’art, le sexe, etc. Cette contamination de la fiction par la réalité donne lieu à quelques moments forts réjouissants dans la première partie du film, telle la scène où les pompiers restent impuissants face à un feu ; leur rôle se bornant dans la fiction à sauver des chats ou encore le moment où la mère de famille idéale (Joan Allen) découvre le plaisir sexuel dans sa baignoire.
Pleasantville aurait donc pu être le versant humoristique réussi de The Truman show, film de Peter Weir, sorti il y a quelques mois et qui abordait déjà les rapports entre la réalité et sa recréation fictive par le biais du sitcom mais d’un point de vue bien plus paranoïaque. D’autant plus réussi que cette prise de conscience ludique d’un monde factice est traduite à l’écran par une idée cinématographique assez séduisante. Au fur et à mesure qu’un vent de liberté souffle sur Pleasantville, la couleur envahit peu à peu le champ. D’abord une fleur, ensuite des visages, puis les paysages, l’image se trouve peu à peu « colorisée ».
Malheureusement le réalisateur a préféré continuer sur sa lancée et la deuxième partie du film débouche sur une critique sociale beaucoup moins convaincante. La « colorisation » n’est en effet qu’un privilège appartenant aux partisans du changement, les conservateurs qui défendent les valeurs éternelles de Pleasantville demeurent en noir et blanc. Les deux groupes vont inévitablement s’affronter et leur confrontation donne lieu à un véritable florilège de toutes les périodes obscurantistes de l’histoire du 20e siècle. Apartheid, autodafés, maccarthysme, tout y passe. Et au cas où le spectateur n’aurait toujours pas compris, il a droit à l’incontournable scène de procès dans laquelle, lors du grand discours final, David explicite tous les principes de tolérance exposés auparavant. A force de trop vouloir consolider les fondations de son film, Gary Ross a transformé Pleasantville en gros bunker bien pensant.