Province ensoleillée, peuplade traditionnelles de quartier et adolescence en locomotive fictionnelle, Douche froides suit un sillon très français, entre un Claude Miller rajeuni et un Doillon terre-à-terre. C’en est presque glaçant au départ, comme si le film fonçait franco dans les clichés, prêt à se désincarner par paresse ou par peur. Mais Antony Cordier a suffisamment de doigté pour innerver son cahier des charges et dévie sa trajectoire en douceur. L’évolution du genre vers un terrain plus perso s’opère par touches imperceptibles, par micro-ruptures qui temporisent et guident chaque image ou situation. Du réalisme champêtre, le film glisse donc vers une poésie douce, trottine sur plusieurs récits, ici un parcours initiatique, là un petit théâtre burlesque. Beaucoup de trajectoires mêlées, mais au final, une cohérence, une maîtrise qui par delà sa discrétion, témoigne d’un hédonisme assez rare dans le cinéma français en général et dans la chronique adolescente en particulier.
L’ouverture s’assimile au farniente espiègle d’une chanson de Souchon ou Voulzy, entre année du bac, fantasmes de cours d’anglais, vestiaires des garçons et premières fois vibrantes. L’espace (deux-trois quartiers de Tours) et le temps (une année scolaire) sont ceinturés dans un carré parfait, étayé et balisé au poil. Champion local de judo, ami des bourgeois qui sponsorisent l’équipe et fierté des classes ouvrières, le jeune Michael arpente le film en enfant roi, à la fois guide et héros. Sa voix off initiale inscrit d’ailleurs l’oeuvre dans un flash-back enchanté, entre nostalgie et mythe naïf, celui d’un temps exempté de tiraillements et d’ambiguïté morale. La fluidité est donc totale : Cordier étouffe tous les conflits de sa petite troupe ou les anesthésie d’un vernis onctueux. Des combats de judo à une soirée arrosée où réunis dans une piscine, parents et enfants s’amusent de concert, le film aime à faire fusionner par delà les fossés sociaux ou générationnels, sans verser dans la niaiserie téléfilmique.
Oui, nuance et non des moindres. Cordier ne suggère à aucun moment la valeur sociologique de son étude de caractère. Sa narration sur la misère sociale des parents du héros en forme de sketches et de tapis rouge à la fantaisie des acteurs (Ecoffey en tête) atteste d’un plaisir à transformer le réel en matière brute de cinéma. Et puis, il y a cette latence érotique. Diffusée parfois un peu maladroitement (la séance photo), elle se matérialise comme un prolongement du tout fusionnel du film, et comme une fin de l’innocence du personnage, qui partage sa copine (consentante) avec son meilleur ami. Cordier filme l’étreinte avec ce même aplomb emphatique, sans goguenardise ni tremolos moralistes. Insouciance sereine qui confère autant de légèreté à la scène qu’une remarquable intensité. Plus que le tressaillement basique du porno soft, c’est surtout la composition des plans en écho à l’assemblement des corps qui fascine. Et qu’importe si le final, tout en délitement, gâche un peu le plaisir. Douches froides laisse voir en Antony Cordier un solide talent.