Habile et nul, redoutable en cela, Les Poupées russes fait suite à L’Auberge espagnole comme un rendez-vous à un autre. Speed dating, donc, propre aux films générationnels -ou qui prétendent l’être. Toujours, raie sur le côté, Romain Duris devenu, on le devine, aspirant écrivain. Toujours, autour de lui, une idéale distribution du genre féminin : ex petite amie, éternelle complice ; amie lesbienne ; filles qui passent, histoires brèves. Et toujours, dans le petit puzzle du film, un même faux contact : entre la voix off du roman qui s’écrit (Duris pianote sur son Mac, à son bureau, sur un canapé, dans les toilettes des TGV) et la vie comme matière irréductible à toute organisation littéraire. On sait le problème, Xavier est nécessairement un mauvais écrivain. D’abord parce que la voix off est atrocement mal écrite, voire neuneu. Ensuite et surtout parce que rien ne passe dans le branchement raté entre l’anarchie de la vie et les surprises de l’écriture. Xavier s’est réfugié dans les lettres par défaut, en quête d’une formule qui rendrait l’existence plus fluide (et le passage à la trentaine plus agréable) : elle consisterait à faire du commentaire écrit l’instance de régulation d’un grand désordre, son cadre, autant dire ce qui n’advient jamais mais explique -petite psychologie- pourquoi Xavier n’arrive pas à s’y mettre et se voit contraint pour vivre d’écrire des scénarios de bluettes Harlequin et de faire le nègre. Entre le off du romanesque et le in de la vie, large gouffre, évidemment. Mais surtout, aller-retour en surplace, court-circuit sans étincelles, où de toute façon Klapisch n’a rien à loger. Sinon la primauté de la vie qui court.
C’est là où il fait preuve d’une roublarde adresse en misant tout, avec une efficacité sûre de ses effets, sur ce qui file et non sur ce qui recueille, évalue, commente (l’écriture, donc, son faux sujet). C’est le versant tonton cool de Klapisch, celui qui vous a compris, bien calculé. Résumé philosophiquement, l’horizon précis et touchant de la chronique tient dans cette maxime arrachée à la prose de Xavier, quand il évoque l’instant où, dans la rue, il a pris la main de sa copine espagnole : « C’est fou, ces moments supra cons qui sont hyper importants ». C’est fou, et on est tous dedans, dans le semi-ridicule des histoires d’amours, baffes qu’on prend, occasion foirées, occasions de se taire perdues. Preuve qu’il faut mieux se taire que tout raconter à son Mac ; ailleurs, regrets éternels de n’avoir rien dit. Klapisch est fort, non seulement parce qu’il saurait toucher juste et capitaliser les moments supra cons mais hyper importants. Aussi et surtout parce qu’il sait faire régner sur son petit monde de copains tous à leur juste place, la loi de la plus parfaite neutralité. Celle qui envoie tout : déluge de moments clés saucés par une sorte d’infaillible réalisme amoureux -tourné en dérision dans les soap qu’écrit Xavier, l’amour ailleurs se donne en sa plus nette habitude : embrouilles, premiers baisers, baffes qu’on prend, tergiversations, moments supra cons mais hyper importants. Celle aussi, hélas, qui dans le même temps retient tout : neutralisée en puzzle, démocratie, de la colocation, de l’amitié, des auberges espagnoles, du foutraque de nos vies à tous. Espagnoles ou russes ou anglaises, de cire ou de son, poupées qui nous trottent dans la tête, besoin d’un peu de lumière dans tout ça, micro trottoir de l’amour, Europe qui dit oui, qui dit non.