Alors que peu de film à sketches ont laissé une véritable trace dans l’histoire du cinéma en prise de vue réelle, cette forme bâtarde a au contraire suscité de nombreuses oeuvres remarquables dans le domaine de l’animation, à commencer par Fantasia de Disney. Elle continue d’être exploitée avec succès au Japon, comme en atteste l’excellent Animatrix, dérivé – en mieux – de la trilogie des frères Wachowsky, et dans un tout autre style Jours d’hiver, ou Genius party, à venir. En 1987, elle a donné naissance à deux longs métrages hors-norme, dont le point commun était la présence de Katsuhirô Otomo (Akira) au générique : Manie Manie et Robot carnival. Ce dernier apparaît aujourd’hui comme le plus daté, mais aussi le plus excitant visuellement, objet filmique singulier tant la politique des auteurs s’avère inopérante à son sujet.
Robot carnival est en effet un film d’animateurs, au sens où les réalisateurs des huit segments sont tous issus du sérail -sauf Otomo, pour le coup-, ayant préalablement exercé leurs talents plutôt sur des productions TV, et n’ayant pas dans l’ensemble persévéré dans la réalisation, à l’exception de Takashi Nakamura (l’oubliable Arbre de palme) et surtout Kôji Morimoto, co-fondateur du studio 4°C. Au sens également où le film ne brille pas par l’ambition ou la cohérence de son propos, mais par son exubérance formelle et la grande liberté qui a manifestement présidé à sa conception. On l’aura compris d’après le titre, la seule figure imposée est ici celle du robot, par ailleurs consubstantielle à l’animation japonaise moderne, sans que cela ne s’accompagne ici d’une véritable réflexion philosophique, comme dans la littérature de SF par exemple. L’intérêt de Robot carnival est donc ailleurs, dans le pur plaisir de la variation des formes et des couleurs -plusieurs segments sont d’ailleurs muets-, élaborant sketch après sketch une poétique du mouvement automatisé et de la destruction, la plupart de ces machines finissant par voler en éclats. Plusieurs écoles graphiques et cinétiques se télescopent en outre ici, Robot carnival pouvant aussi être vu comme une anthologie non-exhaustive de l’esthétique du robot dans l’animation japonaise.
A ce titre, Deprive et Starlight angel en incarnent l’aspect le plus archaïque mais non sans charme, marqués par le style des productions des années 80 comme Gundam ou Gyver. Si on ajoute à cela une musique au synthétiseur du plus bel effet, le style vestimentaire typique des personnages des anime des années 80, les couleurs fluos, voire des design du plus mauvais goût (le ridicule méchant de Deprive), on obtient deux court métrages délicieusement vintage, aussi tartes qu’attachants, mais portés par une véritable virtuosité dans le mouvement -voir les séquences de course du personnage de Deprive ou l’incroyable robot géant de Starlight angel,- bien que marqués par les gimmicks de l’animation limitée propre aux productions TV, fatal atavisme de nombreux animateurs nippons. Dans un style graphique nettement plus moderne et porté par une approche du mouvement qui privilégie la continuité aux ruptures, la mutation aux effets de montage, Franken’s wheel est une relecture du mythe de Frankenstein, qui frappe surtout par la multiplicité d’éléments mécaniques animés au sein de chaque plan. Presence, le plus long segment du film est aussi le plus prétentieux et le plus statique, donc le moins intéressant; l’antithèse de A Tale of two robots, facétieuse friandise concoctée dans une esthétique et un esprit proche des premières productions Gainax (Les Ailes d’Honneamise), hilarante uchronie qui met aux prises deux robots de bois et d’acier dans le Japon de la fin du 19e siècle. Red chicken head guy est un fascinant cauchemar mécanique envahissant Tokyo -mais combien de fois les Japonais ont-ils détruit leur capitale au cinéma ?-, semble-t-il réminiscent de la Légende de la Vallée endormie, chef-d’oeuvre méconnu de Disney adaptant l’histoire du cavalier sans tête remise au goût du jour par Burton dans Sleepy hollow; le style d’animation du personnage principal évoquant d’ailleurs plutôt la tradition américaine du mouvement. OVNI total : Cloud de Mao Lamdo -inconnu au bataillon des animateurs japonais- brosse de puissants tableaux d’un ciel apocalyptique, allégorie des états d’âme d’un petit robot qui deviendra homme. Beau comme du Turner qui bouge.