Sans doute Erick Zonca est-il plein de bons sentiments. Mais quels sens cela a-t-il de nous montrer les galères volontaires de deux adolescentes ? Car il s’agit bien là de deux jeunes filles dont la dérive est programmée. Programmée par elles-mêmes : elles refusent de travailler et préfèrent visiblement se laisser porter par le cours des choses. Dès lors pourquoi porter sur leur parcours un regard apitoyé ? Après tout, elles ont la vie qu’elles choisissent d’avoir.
Car s’il s’agissait de porter un regard critique sur ce qui arrive à ses deux héroïnes, alors c’était autrement qu’il fallait procéder. Montrer les déterminismes sociaux qui entraînent leur conduite ou montrer des personnes qui veulent au moins s’en sortir. Montrer les choses telles qu’elles peuvent être ne pourra jamais faire un film. Le regard critique que tout film (« social « ) doit porter sur la vie se doit de passer par la question du choix et des déterminations des personnages. Or là que voit-on ? Elodie Bouchez qui arrive dans une ville trouve un petit boulot, le quitte au bout d’un jour parce qu’il est trop dur. D’où vient-elle, où va-t-elle, on ne daigne pas nous en informer.
Finalement le film de Zonca revient à nous présenter des tranches de vie, brutes, sans que la mise en scène où le discours ne se fassent une seule fois critique. Dès lors pourquoi faire un film ? Il aurait tout aussi bien pu nous présenter ses vidéos de vacances. Quand Nicholas Ray nous montrait ses « rebels without a cause » on savait d’où venait la révolte. La pression de l’éducation puritaine, la figure envahissante du père… Dans le film de Zonca plus rien n’est motivé, comme si chaque chose venait de soi. Pour un film « social » c’est là le fin du fin. Alors monsieur Zonca, le capitalisme aussi ça vient de soi ? Comme quoi les bons sentiments ne suffiront jamais à faire un film.
CONTRE-AVIS
La rentrée s’annonce décidément plus belle pour les cinéphiles que pour les boursiers : c’est dans les salles obscures que vous trouverez les plus belles valeurs françaises. Au CAC 40 de l’enthousiasme, A vendre et La Vie rêvée des anges luttent au coude à coude et vous assureront de jolis dividendes de plaisir.
Pascale Ferran l’avait appelé « âge des possibles » : cet âge incertain où l’on se cherche, tant sur le plan affectif que sur le plan professionnel. L’âge des stages, des contrats d’intérim, l’âge où la société se fait violente, répondant « flexibilité » à tous ceux qui voudraient simplement construire une vie, se stabiliser, exister. L’âge où la vie qu’on vous propose vous semble si petite, si figée, qu’il semblerait naturel de la refuser.
Bien peu en ont le courage, ou l’inconscience. Il faudrait courber l’échine, accepter ce que l’on trouve « pour ne pas tomber dans l’exclusion ». Là où chacun se contente de se laisser porter vers ce qui semble lui être destiné,
les personnages d’Elodie Bouchez et de Natacha Régnier ont fait un choix, celui de refuser les miettes qu’on leur a laissées. Les héroïnes n’ont pas d’histoire : une petite ville de province, des parents déchirés, à quoi bon épiloguer ? Leur avenir nous échappe comme il leur échappe. La force des personnages de Zonka tient uniquement dans leur présent, leurs illusions, leur refus du « pragmatisme », bref : leur envie de vivre.