Piccolo, saxo et compagnie, ça vous dit quelque chose ? Ce vieux vinyle à vocation pédagogique avait pour sous-titre « La petite histoire d’un grand orchestre » et, sur un joli texte de Jean Broussolle dit par François Périer, faisait découvrir à ses jeunes auditeurs les diverses familles d’instruments de musiques (cordes, vents, cuivres et ainsi de suite). L’auteur de la musique et des orchestrations ? Un génie méconnu des trente glorieuses au nom en forme de blague : André Popp. (Pour mémoire, il est aussi l’auteur du thème… des Chiffres et des lettres). En 2001, Fred Pallem tombe par hasard sur un de ses albums dans les bacs d’un disquaire, Delirium in hi-fi, dans lequel il reprend et accommode à sa manière quelques bijoux kitsch du genre Perles de cristal ou La Polka du Roi. « Accroche immédiate ! raconte Pallem. Toute la sensibilité, le goût du détail, l’humour, le choix des mélodies et autres ingrédients auxquels je tiens tant dans la musique étaient présents, sans exception, sur le même disque. Et dire que cette musique a presque cinquante ans d’âge et pas une ride. Quelle douce claque ! ». S’ensuit une visite au maître, qui vit toujours, et un projet : rejouer cette musique hallucinante avec le « Sacre du tympan », le big-band haute qualité de jazzeux hexagonaux dont le premier album éponyme avait laissé un sacré souvenir (« la relève est assurée », aurait affirmé Popp après en avoir écouté le premier morceau). « Popp symbolise un idéal, poursuit Pallem : c’est le chaînon manquant entre Messiaen et la variété ». Résultat des courses : trois morceaux signés André Popp (Bloody serenade, Coeur mécanique et Sexy sax) forment le coeur de ce Retour du Sacre du Tympan, un album délirant qui sonne comme une grande fête oecuménique où rock, jazz, pop (et Popp) se donnent la main en convoquant ici et là l’énergie tonitruante d’un Screamin’Jay Hawkins (auquel est dédié le second morceau, le plus réussi peut-être, Train fantôme), le génie combinatoire d’un Frank Zappa, l’humour liturgique d’un Pierre Henry, l’ombre irrévérencieuse de La Salsa du démon et, of course, l’esprit démoniaque d’un Juan-Garcia Esquivel, maestro toutes catégories confondues de l’arrangement kitsch pour grand orchestre.
Qu’on ne s’y trompe pas cependant : derrière la profusion et la bonne humeur de cette galette revigorante se cache un ensemble de musiciens qui sont tout sauf des amateurs, musiciens parmi lesquels on retrouve quelques noms bien connus de la scène française (les saxophonistes de la tribu Yolk Alban Darche et Matthieu Donarier, notamment, ainsi que le violoncelliste Vincent Segal et le cornettiste agité Médéric Collignon). A côté des trois reprises d’André Popp, Fred Pallem a mitonné six compositions originales sautillantes et imprévisibles, truffées de gags mais parfaitement cohérentes, comme un voyage en accéléré qui passerait par la fête foraine (Train fantôme, longue pépite de treize minutes ; « j’ai mis six mois à l’écrire », confesse l’auteur), la série hollywoodienne (Sérénade pour l’entarteur, avec son orgue kitsch et son vibraphone bon enfant, à écouter auprès d’une piscine en Californie avec un martini-dry à la main), la comédie italienne en noir et blanc, le rock et la SF tendance Ed Wood. Une orchestration acrobatique pour une musique qui emprunte à tous les répertoires, du savant au populaire et du comique au dramatique, avec une pêche irrésistible et un sens imparable de la mise en scène : cousin fantaisiste du scandinave Jono El Grande et digne héritier du grand Popp (« si l’on écoute le disque à froid, on ne sait pas ce qui est d’André et ce qui est de moi », se félicite Pallem), ce Retour ravira les fans de BD, d’humour et de soucoupes volantes autant que les amateurs de jazz qui savent goûter la mécanique bien huilée d’un big-band au sommet de son art et l’inspiration de solistes en pleine forme.