Une minute de silence : Bioware est mort. Le Bioware que nous connaissions tous, plus ou moins, celui des RPGs top-crédibilité sur PC, de Baldur’s gate ou de Neverwinter nights, ce Bioware-là n’est plus. Des millions de trentenaires en chemise à carreaux sont inconsolables. Il faut pourtant se résigner, commencer le travail de deuil. Accepter que le studio de développement, probablement anéanti par l’idée que Gary Gygax ait pu les duper –non, les orques et les gobelins ne sont pas deux races distinctes, même ce gros balourd de Peter Jackson s’est fait avoir-, se soit résolu à commettre l’impensable, voire l’irréparable : faire un RPG Star wars sur console.
Le cul entre deux chaises, KOTOR était encore suffisamment hybride pour aider les fans de Baldur à avaler la pilule. RPG bavard, soumis aux sacro-saintes règles AD&D, adapté sur PC et console, l’avant-dernier jeu de Bioware assurait la transition en douceur entre un glorieux passif et des lendemains qui déchantent… puisque désormais Bioware fait du RPG console. Oui, comme les Japonais, avec ce qu’il faut de dirigisme, de mise en scène, de belles images et d’interface user-friendly. Sur les ruines de KOTOR, définitivement remis à sa place par un second épisode médiocre, Bioware a modelé Jade empire, un nouveau chantier apparemment moins ambitieux… mais les apparences sont parfois trompeuses : attaquer les Japonais sur leur propre terrain, certains s’y sont essayés (Sudeki, Fable), aucun ne s’en est jamais relevé. Bioware a l’intelligence de ne pas sous-estimer l’adversaire, il joue l’humilité et envisage le genre en touriste béat. Qu’est-ce qu’un « jeu console » ? Quels sont ses fondamentaux, ses caractéristiques ? La question mériterait presque une thèse. Bioware y répond en esquissant une sorte du « Guide du routard » pour profanes et pour crevards n’ayant pas les moyens de se payer un voyage en Chine. En espérant sournoisement que l’habit fasse le moine shaolin.
Bioware Corp présente… « Bruce Lee contre Fu-Manchu ». Du kung-fu, de l’amitié, de la trahison, des fleurs de lotus, des palais célestes et des jardins suspendus. Parrainé par l’ambassade de Chine au Canada et le site « Gamasutra pour les nuls ». Finis les dames elfes en string et les jedi en pyjama, Bioware a enfin eu le courage de développer son propre univers, quelque part entre le Wu Xia traditionnel et la fameuse pub pour les déodorants Axe. Esthétiquement, c’est plutôt réussi, à peine en deça du Shenmue II de Yu Suzuki, ce qui n’est pas un mince compliment. Evidemment, rien ne surprend vraiment dans Jade empire : l’empereur local est fourbe, les vieillards sont sages, les fonctionnaires corrompus et les courtisanes intriguantes. Jusqu’au plot-twist final de rigueur, que l’on voit arriver à des kilomètres. Jade empire assure le minimum, façon guide touristique. Le joueur peut entamer son voyage en Chine en toute confiance, et explorer le Musée des mécaniques ludiques consoleuses made in Bioware en toute sécurité. Il ne risque pas d’être bousculé dans ses préjugés.
Bioware débute encore dans le domaine du jeu console… Ca se voit. Quitte à flirter avec l’action-RPG sous la forme de combats bien bourrins, quitte à intégrer quelques phases de shoot’em up verticaux à la 1942. Et raboter tout ce qui dépassait du gameplay encore graisseux de KOTOR pour arriver à une interface plus accueillante, plus minimaliste (plus d’équipement, peu de caractéristiques, un système de customisation à peine plus élaboré que les matérias de Final fantasy VII. Bioware lipposuce à tour de bras, en ne laissant que ce qui leur apporte un semblant d’idendité : les dialogues interminables, cette foutue fixette sur la moralité et cette propension, plutôt agréable, à se disperser sous le flot des quêtes annexes. Il y en a qui vont gueuler. Fallait-il en arriver à un tel niveau de dégraissage ? Oui, puisque Bioware est passé à autre chose, que leur démarche est désormais claire comme de l’eau de roche. Bioware est mort, puis s’est réincarné, puis il est passé à l’ennemi la fleur au fusil. Sûr qu’à leur enterrement, en marge des PC-istes orphelins, se cachaient sournoisement, à l’affût d’une éventuelle renaissance sous la forme de tour operator, quelques touristes en short.