L’énorme attente qui précède Seven swords tient dans l’incertitude, ployant sous mille rumeurs, de sa forme finale. Adaptation d’un roman wu xia classique des 70’s de Liang Yu Chen, le film était annoncé sous différents formats (6 heures à l’origine) pour finalement débarquer en salles dans cette version de 2h25. Pas d’inquiétude pour autant : il faut moins voir dans cette version amputée un argument de film maudit qu’un défi supplémentaire pour atteindre à l’essence du style Hark : la vitesse et le vertige. Seven swords tente donc l’incroyable pari de condenser dans ses 2h25 quasiment toutes les sous-intrigues et ramifications du récit originel. A cela, le film doit sans doute sa relative illisibilité, notamment dans sa deuxième partie, presque impossible à suivre tant elle superpose de micro-fictions secondaires : histoires d’amour croisées, trahison, séquences entières réduites en quelques plans de flash-back, etc.
Mais à cette saturation du récit répond la ligne claire et la simplicité du roman de Liang Yu Chen, fiction de résistance populaire aux enjeux bien connus : sept contre tous, jadis samouraïs ou mercenaires, désormais épées personnifiées au service d’un petit village opprimé par un pouvoir tyrannique et sanglant. La première partie, réductible en trois grandes séquences de batailles (agression d’un premier village par l’armée du terrible Ravage, assaut sur le village des héros du film, attaque des mercenaires dans la base de Ravage) suffit à poser le film et à créer le sentiment d’une amplitude de chaos sidérante. La seconde partie, fuite des villageois qui trouvent refuge dans une grotte avant la grande bataille finale, peut se permettre, alors, de multiplier les enjeux secondaires sans pour autant que ceux-ci pèsent sur le film. Hark est par excellence un cinéaste de l’éclat des extrêmes (souvent au sein d’un même plan), et Seven swords fait son programme de cette opposition entre réalisme barbare des séquences de combat qui ponctuent le film et évanescence romanesque des micro-fictions qui l’innervent de part en part.
Mais le plus fort de Seven swords, probablement aidé par la nécessité de compression imposée par sa durée, tient encore dans l’effarante clarté de son découpage. Avec Seven swords advient un nouveau cap qui peut être vu comme l’aboutissement de cette quête du vertige harkien : une forme de devenir immobile de la célérité, la plupart des séquences de combat se figeant dans une forme de symétrie du trop-plein de forces en jeu, équilibre lourd des épées qui, en se croisant, se neutralisent tout en faisant imploser le monde autour d’elles. C’est le sens de ces plans successifs, proches d’un montage-photo, où les corps se déplient en un minimum de mouvements et de poses, dans une grâce très expressionniste qui ramène, là-encore, aux origines du cinéma : une lame contre une autre, un visage qui absorbe le reste du plan (celui, magnétique, de la tueuse blafarde de Ravage), un poing serré et tremblant, une tête qui tombe, une plaie béante qui s’ouvre après la bataille. Impression de passer derrière le miroir de l’oeuvre, après la vitesse, dans un champ tout neuf de splendeur étourdie qui, s’il a toujours à voir avec la mort et le chaos, n’en finit pas de réaffirmer Tsui Hark en cinéaste plus vivant que jamais.