Français établi à New York, Raphaël Nadjari se veut le citoyen du monde du cinéma d’auteur, sorte de Juif errant sur les traces de sa propre culture. Avanim est un retour aux sources en Israël. Portrait de femme subissant la montée de l’extrémisme jusque dans les quartiers les plus laïcs de Tel Aviv, le film rejoint le style qui a fait la petite renommée du cinéaste, un mélange de Patrice Chéreau (pour un découpage tortueux qui privilégie l’esthétisme) et de John Cassavetes, père spirituel avoué, qui partage la même âpreté des personnages, la même défiance à l’égard d’une trame narrative classique. Avanim enfonce même le clou : très beau et maniéré, où la nervosité ne naît jamais des rebondissements de l’intrigue.
En résulte un tiraillement pas toujours agréable. Pris dans ses dispositifs formels, le film ne se laisse pas approcher facilement, toujours rebelle, cabré, voire parfaitement nébuleux dans son non-rythme. Ponctuellement, on s’abandonne à considérer Nadjari comme un cinéaste antipathique et alambiqué, sans discours réel ni grand intérêt. Au fond, un Amos Gitaï filme le même sujet dans Kadosh avec autrement plus de puissance et de clarté. D’autant que la virtuosité du film pose problème. Vraiment trop proche de Cassavetes en plus brouillon, la grammaire nage entre la ré-appropriation mal digérée et le kit du petit auteur. Les enjeux de Nadjari sont d’ailleurs à peine différents : sonder le mystère d’une femme, capter la tension des disputes, recueillir un érotisme lascif et brut.
Seulement voilà, Nadjari persiste sur une voie insondable que lui seul semble connaître. On tente de comprendre la raison d’un zoom ou d’un plan étiré, souvent sans succès, mais au moins cette droiture sourde intrigue, fascine même par instant. Muse et reflet direct du cinéaste, la formidable Asi Levi incarne cet autisme digne et incroyablement classieux. Amoureux transi, Nadjari la filme telle une ombre chatoyante et racée. La voir arpenter les rues de Tel Aviv, fumer ou se dresser fièrement face à la montée en puissance du fondamentalisme religieux rassemble et noue vigoureusement les lignes directrices du film. Un mélange d’observation stupéfaite, de déréalisation et d’infinie douleur. Cocktail détraqué, complaisant, tout ce qu’on veut, mais indubitablement fort.