Les héros sont fatigués. Les yeux brouillés, la bouche pâteuse, ils émergent difficilement d’un sommeil réparateur au beau milieu d’une chambre d’hôpital… ou dans le lit d’une chambre d’ado tapissée de posters d’idoles médiévo-futuristes… ou bien flottant dans un de ces jacuzzi hyper-modernes qui soignent en douceur les organes internes amochés et éradiquent les peaux mortes grâce à un gommage au jojoba. Là, c’est le drame : les héros comprennent progressivement qu’ils ont perdu la mémoire. Ils ne se rappellent plus de rien, même pas de leur état civil, blackout total, le trou noir. Leur boîte crânienne a dû en prendre un sacré coup lors de l’ultra-violente cinématique d’intro -au choix, attaque d’aliens sournois, duel au sommet, gros choc post-traumatique à base de famille entière décimée par des types habillés en noir. Mais le pire est encore à venir, les héros ont été pitoyablement rétrogradés au niveau 1. La honte.
Qu’est devenu Revan, le Seigneur Sith flamboyant que l’on incarnait dans le premier KOTOR ? Réduit à l’état de mini-mythe local, Revan n’est plus qu’un lointain souvenir de puissance qu’il faut désormais laisser tomber pour tout reprendre depuis le début. Bienvenue dans le monde des Padawans fadasses au charisme incertain. Plus de regard torve jaune pisseux, plus de teint blafard, plus de cicatrices d’acné mal soigné, la peau lisse comme le cul d’un Ewok, notre ex-Jedi ressemble à un jeune cadre sup’ de Microsoft. La fleur au blaster, il parcourt la galaxie à la recherche de son passionnant passé, vagabondant de planètes minuscules en stations grisâtres. Parfois, il croise un alien à tête de gland en détresse sur le bord d’une autoroute de l’espace. Que faire ? Lui porter secours ou le sodomiser violemment avec un sabre laser ? C’est l’un ou l’autre, il n’y a quasiment rien entre ces deux extrêmes, entre le scout niaiseux et le barbare sans pitié, dans la droite lignée de l’épisode précédent. Petite nouveauté, petite subtilité : nos choix influencent désormais les scouts et les barbares qui composent notre petite escouade de bras cassés. Le secret d’une équipe soudée, c’est le consensus dur, suivre sa voie propre sans choquer, orienter sournoisement ses compagnons, même les plus rétifs. Et espérer, peut-être, prendre la tête d’un petit bataillon de Jedi bien obéissants. Ca ne prête pas forcément à conséquence, les scénaristes du jeu n’ayant même pas pris la peine d’inclure nos compagnons aux dernières heures de jeu. Mais on peut tout de même prendre un certain plaisir à se creuser les méninges devant des QCM tout droit sortis d’une époque où l’on s’explosait les neurones à force d’essayer d’assimiler le vocabulaire forcément limité d’un Amstrad CPC analphabète sur Sram, La Secte noire ou La Conspiration de l’an III. Fable proposait un choix moral par le prisme de l’action, KOTOR par celui du verbe. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne mène pas bien loin : il faut un minimum de liberté et un peu moins de bavardages pontifiants et trop orientés pour amener le joueur à se questionner sur la portée de ses actes.
RPG pompeux, étriqué, inachevé, KOTOR 2 est incapable d’apporter le moindre souffle à une intrigue besogneuse. Pas difficile pourtant de donner ne serait-ce que l’illusion de grandeur. Même Ratchet & Clank, petit jeu de plates-formes des familles, y parvient grâce à une astuce d’une simplicité désarmante : au début de chaque niveau, juste avant que le joueur ne prenne le contrôle de son personnage, un large panoramique de quelques secondes donne l’impression qu’on s’apprête à s’enfoncer au plus profond d’une mégalopole tentaculaire, d’un désert sans fin, ou d’une jungle gigantesque. Personne n’est dupe, évidemment, chacun sait que le parcours sera balisé, qu’il y a des limites à l’imagination des level-designers. On fait semblant d’y croire, et ça marche. De son côté, KOTOR 2 multiplie les allers-retours entre des planètes à thèmes, sans jamais trouver la puissance d’évocation nécessaire, même lors de la prise du Palais d’Ondéron, cité prise dans la tourmente d’une guerre civile. Même sur Nar Shaada, planète-ville sombre et étouffante, où le jeu aurait quasiment pu devenir L’Empire contre-attaque de la série en poussant un peu ses limites, de son moteur et de son identité visuelle. Quelle drôle d’idée que d’avoir voulu s’inscrire dans une sorte de « pré-histoire » de la saga SF de Lucas, et essayer de trouver un statu-quo entre les deux trilogies… Alors que Lucas s’est manifestement inspiré des Final fantasy les plus baroques, dans ses deux derniers films, pour contrebalancer le côté techno-crevard de la première trilogie. Il fallait sans doute tirer quelque chose de ces cités rutilantes et de ces palais vénitiens. Obsidian s’est contenté de marcher sans effort dans les traces de Bioware. La seule chose qui fait sens c’est le fameux bourdonnement du sabre laser, un petit plaisir futile qui nous a permis de supporter d’interminables allers-retours imposés par un scénar’ retors. On se sent cool lorsqu’on allume notre sabre laser, c’est peut-être le seul et unique moyen de se sentir impliqué dans cette bouillie new-age, de se rappeler petit à petit ce que c’est d’être fort. De se sentir Jedi.