Soulignons d’abord l’audace et la perspicacité d’un distributeur (ASC) qui a eu la bonne idée de sortir ensemble plusieurs films allemands de la jeune génération de cinéaste qui, ces dernières années, a déferlé sur la planète cinéma sans que le public prenne encore la mesure de ce renouveau. Outre ce Voyage scolaire, il faut également compter avec le surprenant et déroutant Marseille de Angela Shanelec et En route de Jan Krüger, autant d’oeuvres qui témoignent d’un frémissement du cinéma d’auteur allemand, dont on a pu voir quelques pépites grâce à des festivals (Bungalow de Ulrich Köhler) et des sorties en salles (Contrôle d’identité de Christian Petzold, Le Bois lacté de Christoph Hochhäusler).
Voyage scolaire, qui a obtenu le grand prix du Festival de Belfort en 2002 est l’un des plus émouvants, aussi doux et fragile que d’autres sont durs et cassants, et dont le sujet même, le spleen des premiers émois amoureux, est propice aux états vibratiles et incertains de l’adolescence. Un voyage scolaire donc, celui d’une classe allemande dans un village balnéaire de Pologne, le béguin de Ronny, jeune garçon taciturne, pour Isa, puis la rencontre d’un troisième larron, Marek, un jeune polonais lui aussi séduit par Isa. Un trio, et déjà l’idée qu’il faut lutter, que l’amour se gagne, que ces corps encore au seuil de multiples transformations naissent à l’amour et à la solitude en même temps. Henner Winkcler filme ce flottement, cette ligne frontalière du cœur d’une façon secrète et pénétrante tout en caressant ces corps avec douceur.
Car c’est bien de frontière qu’il s’agit, dans tous les domaines de la fiction. Frontière physique d’abord, celle qui fait traverser un territoire connu (l’Allemagne) pour un autre jusqu’à présent ignoré (la Pologne), avec ce que cela implique de découverte d’une altérité, d’une langue. Frontière morale avec l’exploration de l’école buissonnière, du non respect de la loi. Frontière amoureuse aussi, ligne de démarcation entre la lutte et la passivité, entre le respect de l’autre et le désir inconscient de le voir disparaître. Le film travaille avec beaucoup de grâce et de naturel toutes ces zones frontières, concrètes ou abstraites, sentimentales ou pulsionnelles qui donnent au film, au delà de l’anecdote sentimentale, sa puissance secrète. Un deuil habille sans cesse le film et les personnages, un deuil qui viendra sans prévenir et qu’on pressentait pourtant dans ce climat hivernal et cette douceur adolescente.
Hasard du calendrier ou lame de fond, il est frappant de voir combien nombre de ces films s’intéressent précisément à l’idée de la frontière, du limitrophe, de l’Autre. En témoignent Marseille, En route ou Le Bois lacté, ces deux derniers décrivant, comme Voyage scolaire, le parcours et la rencontre d’allemands avec un voisin polonais. Spécificité (passagère ?) du cinéma d’auteur allemand, différent d’un cinéma français dont la frontière n’a jamais été un sujet de prédilection, globalement recentré sur le territoire qui l’héberge ? Peut-être. Un cinéma et des personnages qui sortent de leurs frontières pour aller raconter leurs histoires chez le voisin, interroger par défaut leur propre existence, leur propre identité. Voilà qui ne laisse pas d’étonner dans ces films que, bien entendu, on vous conseille vivement de découvrir.